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[Interview] Jonathan Fournel : “Je rêve de jouer la Sonate en si bémol de Schubert”

[Interview] Jonathan Fournel : “Je rêve de jouer la Sonate en si bémol de Schubert”

13 January 2023 | PAR Hannah Starman

Nous avons rencontré le pianiste Jonathan Fournel dans sa loge du Théâtre des Champs Elysées à l’issu de son concert le 11 janvier 2023. Jonathan Fournel y a joué le Concerto pour piano et orchestre n°18 en si bémol majeur, K. 456 et le Prélude du Prélude, Fugue et Variation de Franck en bis. Les propos ont été recueillis par Hannah Starman.

Ce soir vous avez joué le 18ème concerto de Mozart en si bémol. Qu’est-ce cette musique évoque pour vous ?

Le programme dense de ce soir s’inspire à la fois du baroque, mais aussi d’autres styles et surtout des personnages, Pulcinella et Le Bourgois Gentilhomme. Ce dernier m’évoque directement Molière et le théâtre, mais aussi l’opéra et une multitude de personnages bavards qui aiment beaucoup échanger. Mozart, que ce soit dans ce concerto ou tous les autres, aime écrire ses compositions comme des conversations entre les différents personnages. L’un est espiègle, l’autre plus renfermé, l’autre encore est très expressif. Je pense que l’idée de cette pièce que j’ai jouée ce soir est de s’amuser à donner un caractère bien particulier à chaque personnage et de se faire plaisir en le faisant.

A quoi pensez-vous pendant que vous jouez ?

Je pense à mes personnages et à ce qu’ils ont envie de dire. Je prévois tout cela dans ma tête avant de jouer. Je regarde ma partition pour me rappeler exactement tout ce que je souhaite faire. Je planifie, je balise mon terrain, je décide, par exemple, que j’interpréterai un personnage de façon plus sévère que la dernière fois. Mais j’ai parfois aussi envie d’essayer le contraire de ce que j’avais prévu et je le fais. Si l’on n’est pas là pour essayer, quand est-ce qu’on va essayer sinon ? J’ai deux, trois endroits où je prévois ce que je vais faire, le point culminant qui va jusqu’à là, et à l’intérieur de ce “parcours” je me fais plaisir.

Jouez-vous toujours sans partition ?

Oui, sauf pour le contemporain. Là, j’ai peur du par cœur. Je garde la partition pour la musique de chambre aussi car c’est la coutume. Pendant nos études au Conservatoire et pendant les concours le jeu sans partition est imposé et au fil du temps jouer sans partition est devenu tellement naturel pour moi que quand je joue avec partition je m’y perds parfois. Quand je joue sans partition j’ai l’impression de pouvoir me libérer davantage et de ne pas faire uniquement ou littéralement ce qui est marqué sur la partition. Le compositeur y écrit ses propositions que l’on doit prendre en compte car ce n’est pas notre rôle d’aller à l’encontre de ces indications, mais à l’intérieur de ce cadre général, le compositeur nous laisse de l’espace pour faire des choses aussi.

Comment arrivez-vous à exprimer votre personnalité et vos émotions à travers l’œuvre que vous interprétez ? Certains compositeurs sont très précis dans leurs instructions.

Tout à fait. Rachmaninov est très précis et Berg encore plus. Il veut des crescendos à la main gauche et en même temps un diminuendo à la main droite, ce qui est déjà difficile à faire pianistiquement, mais il est parfois plus facile de le faire que de le comprendre. Notre contribution se situe dans ce travail linéaire dont on a parlé. Il faut déjà comprendre quelle identité vous voulez donner à chaque voix. C’est là que l’on commence à y mettre du sien parce que l’on s’interroge. Comment je m’y prendrais si j’étais chanteur ? Comment puis-je le faire avec une seule voix ? Ou deux ? Comment je vais infuser l’œuvre de ma personnalité ? Mon interprétation se reflétera dans la façon dont je vais connecter tout cela, dans le son que j’aime et que je choisirai à un endroit spécifique, la manière dont j’ai envie de me projeter, la voix que, polyphoniquement, j’ai envie de faire ressortir ? Jouer des notes qui sont marquées sur la partition ce n’est vraiment qu’une première étape. Mais après on doit les interpréter et leur donner une forme, déjà pour nous en tant que musiciens, mais aussi pour entraîner l’auditeur dans l’histoire.

Comment préparez-vous une pièce ?

La préparation peut être assez longue. J’ai toujours peur de jouer en public des pièces que je n’ai pas déjà travaillées depuis quelques mois voire quelques années. Mais il faut bien se lancer un jour. Très souvent, je connais déjà d’oreille l’œuvre que je travaille. Lors des premières lectures, je vais voir quel doigté je mettrai à quel endroit et je marque les doigtés sur la partition. Ensuite, je travaille ligne par ligne pour leur donner à chacune un caractère avant de les mettre ensemble et les amener au tempo. Cela permet aussi de mémoriser les différents éléments et la façon dont ils sont reliés entre eux. J’essaie ensuite de donner une forme à tout cela pour que l’ensemble ressemble à quelque chose. C’est probablement la partie la plus difficile car il faut toujours revoir des détails, une petite chose à réviser par ici ou une autre à gommer par-là, sans pour autant perdre la vue de l’ensemble. A ce stade c’est parfois utile de faire une pause et de prendre du recul pour éviter que l’on soit trop borné dans sa vision des choses. Si j’ai un doute par rapport à la direction dans laquelle je me suis engagé, je trouve qu’il peut être salutaire de jouer aux amis ou aux anciens professeurs, Michel Dalberto, Louis Lortie, Avo Kouyoumdjian, Gisèle Magnan qui peuvent me rassurer, ou pas, sur la direction prise.

Comment travaillez-vous avec un chef d’orchestre ?

C’est évidemment toujours plus facile quand on s’entend bien avec le chef au niveau humain. D’habitude on se rencontre avant la répétition, mais c’est toujours court. On a une petite heure pour faire connaissance. Je joue le concerto et après on discute. Je passe beaucoup de temps à préparer mon concerto et en règle générale je sais ce que je veux obtenir et suis assez sûr de ce que je fais. Ceci dit, je reste ouvert aux idées du chef. Par exemple, s’il a besoin d’obtenir une couleur spécifique à l’orchestre ou mener une transition d’une certaine manière. Cela se fait souvent naturellement sans trancher sur tout à l’avance. Une fois qu’on a trouvé un équilibre à la première répétition on teste le son pendant la répétition générale. Si l’entente avec le chef et l’ambiance sont bonnes, il n’y a pas à craindre une catastrophe au moment du concert.

Quelles œuvres avez-vous le plus aimé jouer ?

La 3ème sonate de Brahms est vraiment le type d’œuvre qui me correspondait beaucoup et j’adorais la jouer. J’aime les symphonies et les orchestres et en interprétant cette sonate j’avais la sensation de jouer ma symphonie mais avec mon piano. Cette œuvre en cinq mouvements réunit à la fois du grand piano qui se joue tout seul, des endroits chantants et lyriques, des endroits amoureux, romancés ou encore recueillis et puis un peu de danse au milieu et une marche funèbre, sinon ce n’est pas drôle ! J’ai aimé jouer le 2ème concerto de Brahms pour les même raisons, mais aussi la 3ème sonate de Chopin ou son 1er concerto. Les lignes mélodiques de Chopin n’ont pas besoin de fioritures, elles sont déjà belles de base, comme la Joconde à qui on n’a pas besoin d’ajouter du maquillage. C’est agréable de se laisser diriger musicalement par la musique elle-même. Ces pièces sont fournies, mais aussi très agréables à jouer au piano.

Y a-t-il une pièce qui pour vous représente un défi que vous aimeriez relever ?  

J’aimerais beaucoup travailler le concerto de Ferruccio Busoni, un compositeur italien du début du siècle. Ferruccio a écrit un concerto qui est plutôt une immense symphonie avec un piano au milieu et un chœur d’hommes dans le dernier mouvement qui est un cantique. C’est une œuvre inspirée à la fois de Wagner, de Brahms, mais il y a aussi des endroits qui évoquent Debussy. Cela me plairait, mais c’est une pièce très longue (1h08) et très dure, avec beaucoup de notes. Je pense qu’elle est même plus difficile que les grands concertos de Prokofiev et de Rachmaninov. Seul, j’aimerais faire les trois dernières sonates de Beethoven, mais surtout la Sonate en si bémol de Schubert. C’est une pièce tellement longue qu’une année ne suffira pas à la préparer. Peut-être il faudrait commencer à la travailler maintenant pour un programme que j’ai envie de prévoir dans trois ou quatre ans. Je suis confiant de pouvoir un jour mettre les doigts dessus, mais pour l’instant je n’ose pas.

Vous avez 29 ans. Observez-vous dans votre parcours jusqu’à maintenant une évolution de vos goûts par rapport au répertoire que vous souhaiteriez jouer et une maturation en tant qu’artiste ?

Oui, absolument. J’ai eu des périodes où j’avais envie de jouer des œuvres virtuoses de Liszt et de Rachmaninov. J’ai joué le 2ème et le 3ème concerto de Rachmaninov que j’aimais beaucoup, mais plus tard, j’ai développé le goût pour les pièces qui sont moins dans la virtuosité mais qui font sonner le piano de façon plus naturelle. En ce moment, je me plais beaucoup dans Brahms, mais je reviens aussi aux pièces plus virtuoses, notamment de Szymanowski. Szymanowski c’est un peu un Scriabine qui a évolué à toute vitesse et en se rapprochant par moment du style des Viennois. Cela me plaît car il y a des recherches à faire à l’intérieur, mais ce n’est pas du virtuose à la Rachmaninov. Ce que j’aime bien chez les compositeurs que je joue en ce moment c’est que tout est important. Même chez Chopin, il ne s’agit pas juste de la virtuosité ou de l’effet. Chaque élément d’accompagnement compte et exprime quelque chose, un autre personnage ou une autre voix.

Quels sont vos projets pour cette nouvelle année ?

Je continue à jouer mon programme de récitals et de concerts, c’est à dire, la Sonate de Mozart en Do mineur, Prélude Fugue et Variation de Franck, les Variations de Szymanowski, la 1ère sonate de Brahms, les deux concertos de Chopin et le 2ème concerto de Brahms. Je vais certainement rejouer le Concerto 18 de Mozart que j’enregistre en février avec le concerto en Do majeur 467 de Mozart également. Il y a de beaux récitals de prévus en Allemagne, à Leipzig à Gewandhaus, à Hanovre et à Hambourg, mais aussi le 19 avril à la Philharmonie de Paris. Je suis ravi de jouer le 4ème concerto de Beethoven pour la première fois au Japon au mois de janvier 2024. C’était un rêve, mais il faut que je travaille.    

Visuel : ©Hannah Starman

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