Fazil Say, l’Orchestre National de Lille et Alexandre Tharaud ouvrent Lille Piano(s) Festival
La 13 édition de Lille Piano(s) s’est ouverte ce vendredi 17 juin 2016 pour trois jours de clavier non-stop. A cette occasion, dans l’enceinte du magnifique « Nouveau Siècle », base de l’Orchestre National de Lille repensée en 2013, deux concerts classiques avaient lieu à l’auditorium avec pour figures de proue le pianiste turc Fazil Say et le français Alexandre Tharaud. Alors que Ray Lema et Laurent de Wilde faisaient vibrer une autre salle du Nouveau Monde, le jazz était également de la partie avec un concert en entrée libre du Stefan Orins Trio, Gare Saint Sauveur. Toute La Culture était à Lille pour l’ouverture de ce festival dédié au piano et s’est concentrée sur la partie classique. Live-Report.
[rating=4]
Arrivés à Lille, nous avons pu assister au lancement presse du festival, opéré par le fondateur et chef d’orchestre de l’Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus qui, tout droit sorti de l’émission partenaire sur France Musique, Carrefour de Lodéon est venu accompagné par le journaliste Frédéric Lodéon. L’ouverture du festival Lille Piano(s) a aussi été l’occasion pour nous de découvrir sur grand écran et tout en image le programme de la saison prochaine pour l’Orchestre National de Lille, avec notamment un concert d’ouverture et de passation historique de la direction de l’orchestre par Monsieur Casadesus à son successeur nommé il y a quelques mois, Alexandre Bloch. De nombreux grands solistes sont attendus, dont le violoniste Nemandja Radulovic pour le concert d’ouverture, le pianiste Rudolf Buchbinder pour l’intégrale des concertos de Beethoven, les pianistes François-Frédéric Guy et Jean Rondeau, le flutiste Raphaël Sévère ou la soprano Julia Fuchs. Parmi les chefs d’orchestres invités : Marc Minkowski, Jan Willem De Vriend ou Wladimir Verbitsky. Une saison très riche s’annonce donc pour 2016-2017.
Mais pour l’heure c’est au son des plus grands pianistes que vibre Lille. Et Lille Piano(s) a commencé par un concert d’une heure très intense mené par l’impressionnant Fazil Say. Commençant seul en scène pour les 3 Gymnopédies d’Erik Satie, il les a interprétés avec douceur, mélancolie et une légèreté qui flirtait avec le détachement gracieux. C’est en état de lévitation cotonneuse que le public s’est soudain retrouvé face à la violence d’une composition de Fazil Say lui-même. Extraite de son album « Say plays say » (2014), Gezi Park parle de la répression des forces de l’ordre turque contre des rassemblements pacifique. Engagé, Fazil Say a composé un oratorio pour les victimes et intellectuels assassinés par des islamistes à Sivas en 1993. Il continue à vivre à Istanbul malgré sa condamnation à dix mois de prison avec sursis pour des twitts critiques vis-à-vis de la religion en 2012 (lire notre article); il a eu gain de cause puisque la Cour suprême turque a suspendu la condamnation au nom de la liberté d’expression en 2015. Commençant dans les cordes du piano, la sonate de son crû qu’il a interprétée hier de tout son corps, interpelle. Pas cadencé au sol, cette marche militante sinon militaire, exprime une violence infinie qui a semblé emporter la salle comme un siphon. Le public est resté impressionné.
Mais nous avons eu à peine le temps de nous remettre que l’Orchestre National de Lille entrait en scène. L’élégant Jean-Claude Casadesus a pris place derrière Fazil Say et dès les premières notes du Concerto pour piano n°23 de Mozart, l’atmosphère est revenue au sourire et à la joie. Laissant dépasser le bleu vif de ses manches sous sa veste noire, Say a passé le premier mouvement à se connecter aux autres musiciens, les regardant et jouant vraiment de concert avec eux. Comme emportés par la musique, le soliste très expressif et le chef d’orchestre léger comme une plume ont donné l’impression de danser ensemble sur Mozart. La connivence et la fluidité de cette danse a créé un moment magique encore magnifié par le fameux adagio de ce concerto 23. Là, quand il ne jouait pas en réponse c’est son immense main sur le visage que Say écoutait de toutes ses forces les vents bouleversants du mouvement. Alors que ce concerto vraiment magique s’est fini dans l’allégresse et la rapidité de son troisième et dernier mouvement, Fazil Say s’est lancé en bis dans une reprise époustouflante et généreuse de « Summertime ». Il l’a commencé comme une Gymnopédie pour la faire blueser avec une âme et une maestria qui ont soulevé la salle. De Mozat à Say, le concert d’ouverture de Lille Piano(s) a bien exploré toutes les facettes du clavier.
Une heure plus tard, c’est dans une atmosphère beaucoup plus resserrée et concentrée qu’Alexandre Tharaud est monté en scène, seul avec sa partition et son accompagnatrice pour donner la version live de son enregistrement des Variations Goldberg de Bach. Nous avions rencontré le pianiste lors de la sortie acclamée de cet enregistrement ambitieux des 30 variations mythiques (lire notre article) et nous nous sommes réjouis de l’entendre « en vrai », égal à lui-même : très concentré, très précis, prenant son temps (la performance a duré presque plus d’une heure) et marquant parfaitement les césures entre les Variations, quitte à nous rappeler qu’elles étaient à l’origine des exercices de clavecin. Dans l’acoustique tellement performante de l’auditorium où un froissement de collant résonne, chacun s’est immobilisé et a retenu souffle et toussotement avec recueillement pour aller au bout de cette grande musique de nuit qui nous a accompagnés vers la fin de la première soirée de Lille Piano(s) et une nuit humide et fraîche de juin.
J.S. Bach: Goldberg Variations, Alexandre Tharaud – TRAILER from Poorhouse International Ltd. on Vimeo.
Ce samedi 18 juin 2016 le festival continue avec entre autres un marathon Satie toute la journée, des concerts de Vanessa Wagner, Anne Queffelec, Ismael Margain, Boris Giltburg, Iddo Bar-Shai, un hommage à Billie Holliday et un Bal Tango. Dimanche, ne manquez pas le récital de Dimitri Masleev et le concerto n° 2 de Chopin par Boris Berezovsky et l’Orchestre National de Lille dirigé par Jean-Claude Casadesus.