Rencontre avec le pianiste Antoine Palloc : “ll y a un vivier de jeunes voix françaises exceptionnelles”
Plus de deux ans se sont passés depuis notre dernière interview avec le pianiste Antoine Palloc. Alors qu’il se produit en duo avec Karine Deshayes, qui fête ses 25 ans de carrière avec ses amis à l’Instant lyrique le 27 novembre à l’Opéra comique, il nous parle de son métier d’accompagnateur, du récital, de sa passion pour les voix et de ses projets de musicien et de passeur de flambeau.
Vous accompagnez l’Instant lyrique depuis ses débuts. Pouvez-vous nous parler de cette série qui a fait renaître le récital?
Nous avons tellement entendu dire que le récital ne remplissait plus les salles que nous avons eu envie, avec Sophie de Ségur et Richard Plaza, de prouver le contraire et de montrer qu’il y avait un public pour les voix. Si le quatuor à cordes fait salle pleine, pourquoi le piano-chant ne remplirait-il pas ? L’Instant lyrique a connu plusieurs saisons, d’abord à l’Éléphant de Paname, puis à la Salle Gaveau et enfin, cette année, c’est l’Opéra comique qui nous accueille pour une saison réduite avec trois récitals. Le premier sera dans la grande salle le 27 novembre avec Karine Deshayes, qui célèbre ses 25 ans de carrière. Puis le 6 mars 2023, Alexandra Marcellier et Marie-Andrée Bouchard Lesieur se feront entendre dans le foyer, de même que Cyrielle Ndjiki le 5 juin.
Et c’est vous qui les accompagnez au piano ?
Oui, j’accompagne les trois récitals. C’est souvent moi qui accompagne l’instant lyrique, sauf si un chanteur ou une chanteuse préfère un autre accompagnateur. Un couple constitué a souvent envie de travailler ensemble. Le récital est quelque chose de très intime et quand les deux artistes se connaissent bien, c’est beaucoup plus efficace.
Comment vous repérez les voix ? Les instants lyriques donnent rendez-vous avec des voix connues comme celles de Natalie Dessay ou de Marina Rebeka, mais aussi avec des voix moins connues, que vous avez révélées ou que vous avez croisées.
C’est souvent grâce à Julien Benhamou que nous repérons des talents et, de mon côté, comme j’enseigne, je croise énormément de jeunes. Il y a un vivier de jeunes voix françaises exceptionnelles. Quand j’étais très jeune, Margarita Zimmermann m’a beaucoup soutenu et elle m‘a dit : “Tu verras, un jour, tu aideras les jeunes”. C’est à mon tour donc d’apporter aux jeunes talents des occasions d’essayer des airs et de proposer un nouveau répertoire. Ce n’est pas sans risque mais il y a un véritable esprit de découverte. Or, les jeunes adorent se produire en récital. Et pas seulement dans un florilège d’airs connus d’opéra. Il ne faut pas avoir peur de ne pas remplir si on ne fait pas d’opéra. Il y a un public pour le récital qui ose, car il y a des fans de mélodies.
Est-ce qu’il y a un répertoire plus contemporain, après la Seconde Guerre mondiale, et qu’on peut faire découvrir grâce au récital ?
Oh oui, il y a notamment Asperghis, qui est extraordinaire. J’aime aussi beaucoup Jake Heggie qui compose un opéra tous les deux ans. Et il y a aussi la divine Isabella Aboulker, qui a même créé une mélodie spécialement pour le dernier instant lyrique, d’après un poème que j’aime beaucoup et que je lui ai demandé de mettre en musique. Il y a beaucoup de créations et c’est passionnant.
Qu’enseignez-vous ? Quel type particulier de piano ?
J’enseigne principalement aux chanteurs. Nous nous concentrons sur le style, l’interprétation et la langue. Et je donne aussi parfois des cours à des pianistes qui veulent exercer mon métier d’accompagnateur.
Quand avez-vous su que vous vouliez devenir accompagnateur ?
Quand j’avais 14 ou 15 ans, j’ai entendu à l’opéra un récital de Dalton Baldwin et Mady Mesplé. Je suis allé à leur rencontre et leur ai demandé des autographes pour ma collection. Dalton Baldwin a été très gentil. Quand il a su que j’étais pianiste, il m’a demandé ce que je voulais faire plus tard et j’ai répondu avec des étoiles dans les yeux : “Comme vous.” J’ai suivi des cours d’été avec lui et je suis parti étudier aux États-Unis grâce à lui. Je pense que j’aurais aimé chanter aussi. J’ai suivi de nombreux cours avec plusieurs professeurs, mais ils m’ont toujours dit “Continuez le piano, c’est mieux pour vous.” Je chante toute la journée, tout le temps, mais pas sur scène, même si cela m’est déjà arrivé de donner la réplique à une des voix que j’accompagne…
Quelles sont les voix que vous accompagnez en ce moment ?
Je travaille énormément avec Karine Deshayes et avec Florian Sempey ; ce fut notamment le cas cet été, où je les ai accompagnés plusieurs fois. Il est rare qu’un artiste fasse beaucoup de récitals, cela fonctionne plutôt par à-coups : quatre récitals en un mois avec le même accompagnateur, puis nous nous retrouvons plusieurs mois ou années après.
Est-ce que vous pouvez nous parler de votre rapport au disque, c’est important pour vous d’enregistrer ?
J’ai en effet réalisé plusieurs enregistrements. Un disque est toujours un miroir de ce qu’on est à un moment de sa vie. J’ai eu la chance d’enregistrer beaucoup d’œuvres peu connues et de pallier des cases vides. Après est-ce que les gens écoutent encore des disques ? C’est une question que je me pose. Quand prendraient-ils le temps d’écouter de la musique ? Et je me sens un peu nostalgique quand je me souviens de mes grand-parents qui s’asseyaient dans un fauteuil pour écouter un disque. Ce moment privilégié d’écoute a changé.
Comment continuez-vous de travailler et de progresser ?
Je sollicite beaucoup mon professeur qui est aux États-Unis. Les chanteurs que j’accompagne sont aussi de très grands enseignants parce qu’ils savent de quoi ils ont envie. Je fais ce métier depuis trente ans et au bout d’un moment, ce que les gens pensent de vous importe un peu moins. Il y a un moment où on se dit qu’on aime jouer de la musique, qu’on sait le faire et que si on se fait plaisir, on fera aussi plaisir au public.
visuel(c) Nikolai Schukoff