Musique
Alain Chamfort : “la musique est un métissage constant” [Interview]

Alain Chamfort : “la musique est un métissage constant” [Interview]

20 April 2018 | PAR Sarah Dray

Alain Chamfort célèbre cette année ses cinquante ans de carrière et sort le 20 avril un nouvel album “le désordre des choses”. A cette occasion nous l’avons rencontré et il nous a parlé de mai 68, de son changement de parolier et de son amour pour la musique, bien évidemment. Rencontre avec un chanteur qui a su traverser les décennies avec élégance et style, en nous offrant toujours une musique pop et intelligente.

Vous fêtez  cette année vos 50 ans de carrière, alors qu’on célèbre 50 ans de mai 68. Que retenez-vous de cette époque ?

J’étais musicien avec Jacques Dutronc à cette époque. On a vécu deux ans de folie entre 66 et 68. On était en tournée tout le temps, c’était une vie totalement folle : avec des éclats de rire tout le temps, la scène et les filles…. Et puis après il y a eu les événements. Tout a été bloqué, bouché, les grèves se sont généralisées. J’étais bloqué à Paris et j’ai été recueilli par Dick Rivers. J’ai vécu chez lui pendant une quinzaine de jours.  On allait se promener dans le quartier latin, essayé de comprendre ce qui se passait. Les gens parlaient beaucoup dans les rues, il y avait beaucoup d ‘échange. C’était très festif aussi. Le soir ça castagnait un peu avec les CRS, les barricades… Nous on vivait ça comme des témoins, des voyeurs, parce qu’on n’était pas véritablement concernés, on avait une vie oisive, on n’était pas impliqués dans tout ça. On y allait en tant que spectateurs mais ça nous a permis de constaté ce qui se produisait et de le vivre aussi, d’être au milieu et de se poser certaines questions. On était tout à fait conscients qu’il fallait que le monde change. Même en tant que musiciens, on était très solidaires de tout ça. On avait envie que les choses bougent.

Que reste-t-il en vous du jeune homme qui a démarré avec  Claude François ?

Je pense qu’on ne change pas tant que ça. Je me reconnais aujourd’hui beaucoup dans ce que j’étais et j’avais moins vécu, j’étais moins expérimenté, plus naïf bien sûr, mais en même temps, j’ai toujours eu cette capacité à m’adapter, à aimer, à échanger avec les gens, à essayer d’être respectueux de ce que mes parents m’avaient transmis. Je n’ai jamais été un enfant rebelle, je n’ai jamais été quelqu’un qui avait un besoin de s’affranchir de son éducation. J’ai respecté ce qu’on m’a transmis et j’ai essayé de faire pareil avec mes enfants après.

Est-ce que vous avez eu la carrière que vous imaginiez à vos débuts ?

Je n’ai jamais imaginé quoi que ce soit parce que je ne me sentais pas du tout équipé pour faire une carrière. Je ne pensais pas avoir une personnalité suffisamment forte pour savoir s’imposer ; être à l’aise, se sentir à sa place sur une scène. J’étais vraiment quelqu’un de très peu fait pour ça. J’étais quelqu’un d’un peu introverti, un peu timide, pas forcément bien dans sa peau, dans son corps. Je ne me sentais pas les qualités nécessaires pour faire cette activité-là. Les choses se sont enchaînées comme ça, c’est des rencontres, des hasards qui ont fait que j’ai accepté les propositions qu’on me faisait. Et puis comme c’était dans la musique, que j’aimais la musique et que je prenais plaisir à en faire, tout s’est enchaîné.

Est-ce que votre perception de la musique et de la scène est différente aujourd’hui qu’à l’époque ?

Bien sûr, la scène j’ai appris à m’y sentir bien et à y prendre du plaisir et à essayer de partager ces moments là avec les gens qui sont dans la salle et de passer un bon moment. Avec l’habitude, on finit par considérer que c’est notre place. Dans la mesure aussi où j’ai un répertoire, et que ce répertoire j’en suis content, et que je suis fier de le chanter au gens. Ça me rassure de savoir que j’ai des bonnes chansons. Je reste lucide, mais je sais que je m’appuie sur des chansons qui sont bien écrites, qui sont intelligentes, et qui sont tout à fait respectables donc je n’ai pas honte de chanter, ce qui était un peu le cas à mes débuts, chez Claude François. Il y avait un espèce de décalage entre ce que j’étais et ce que je chantais. Ça me mettait un peu mal à l’aise mais après je n’ai eu que d’obsession d’être en phase avec ce que je chantais.

Est-ce que c’est toujours le même processus créatif ? Avez-vous une « routine » ?

On essaye toujours de s’y remettre avec une dynamique, c’est important. Cette fois ci je me suis équipé d’un instrument un peu désuet, un petit synthétiseur ringard du début des années 70. Ça m’a amusé de jouer avec ça et de retrouver des sons un peu différents, des boites à rythmes ridicules. De cet amusement sont nées les premières mélodies et puis après une fois que j’ai fait 4 à 5 mélodies, je suis revenu au piano. Il faut garder quelque chose de ludique, je n’aime pas considérer ça comme du travail, comme une obligation, comme un truc rébarbatif. J’ai envie que ce soit agréable.

Vous n’écrivez pas vos textes, et pourtant vos chansons semblent parfaitement parler de vous, vous pensez que les autres peuvent aussi bien parler de vous que vous ne pourriez le faire ?

Ils en parlent même mieux parce que moi autant je suis capable d’apprécier la qualité d’un texte et que le thème convienne et que ce soit quelque chose que j’ai envie de chanter, autant j’ai une certaine pudeur qui m’empêche d’aborder certains sujets. Je ne me sentirai pas capable d’aborder un thème comme « exister », je trouve ça extrêmement ambitieux. Ça m’impressionne trop. Alors que des gens comme que l’auteur de ce texte, Pierre Dominique Burgaud, a pris des thèmes très casse gueule et en a fait de jolies chansons.

Vous sortez dans les prochains jours votre nouvel album, vous avez changé de parolier, qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ?

Jacques Duval avec qui j’ai travaillé pendant plus de trente ans a décidé de d’arrêter d’écrire pendant quelque temps. J’ai été dans l’obligation de trouver quelqu’un pour le remplacer, pour écrire mes textes. J’avais déjà collaboré avec Pierre Dominique Burgaud sur un album autour de Saint Laurent, donc je savais très bien ses capacités. Je savais qu’il pouvait venir prendre le relais de Jacques et il l’a fait avec brio. Je suis très content du travail qu’il a fait.

Vous parlez du fait de vieillir dans cet album, et vous semblez très serein avec cette idée, c’est le cas ?

Je ne suis pas serein, l’approche de la vieillisse ne peut pas nous laisser indiffèrent et serein. En même temps, il faut essayer de s’accommoder et de trouver ce qu’il peut y avoir de bien dedans. Il faut essayer de retenir ça, de ne pas considérer que c’est un mauvais passage et essayer de l’accueillir le mieux possible. Essayer de ne pas être dans la frustration, dans le regret, dans la nostalgie, dans les souvenirs. Et essayer de rendre encore sa vie intéressante et de l’apprécier.

Dans le titre qui donne son nom à l’album, vous parlez du hasard. Vous aimez vous laisser porter par le hasard ? Par le désordre des choses ?

Je pense que c’est ce que j’ai fait tout le temps. Evidemment j’avais des choses en tête mais toutes les envies que j’ai eues, je n’ai jamais pu les mettre en place. C’est toujours des propositions qu’on m’a faites que j’ai réalisé. Ce n’était pas des obsessions ou des volontés de ma part. On est venu me voir et on m’a proposé de chanter, on m’a proposé de faire de la scène. Ma vie a été de savoir saisir des propositions qu’on me faisait. Et ça me correspondait donc j’y allais.

Une de vos chansons est intitulé « tout est pop », c’est quelque chose que vous revendiquez ce côté populaire ?

Le sens de la chanson c’est plutôt de faire le bilan sur tout ce qu’est devenu notre société, le mélange des genres, la façon dont il est traité par les médias, il n’y a plus de hiérarchie dans les événements, il n’y a plus d’échelle de valeur, tout se vaut. Et on ne sait plus qui vaut quoi et qui a de l’intérêt plus que l’autre. C’est un mélange qui n’existait pas avant. On est alerté des informations, ça vient perturber nos vies tout le temps. On nous abreuve de ces choses-là sans nous laisser le choix, et sans mettre d’ordre dans l’importance des choses.

Dans tout ce micmac, pensez-vous que la musique a un rôle à jouer dans notre monde?

La musique a toujours joué un rôle important dans nos vies, soit pour le repos, la relaxation, la tranquillité, soit pour nous accompagner dans l’énergie, soit pour nous consoler, soit pour renforcer le sentiment de plaisir. La musique a plein de rôles différents et elle continue à les remplir, en étant différente elle-même parce qu’elle évolue, elle change, elle fusionne avec des courants différents. Elle passe par toutes les couleurs et par la diversité. C’est ça qui est formidable, la musique c’est un métissage constant qui avance.

Crédit photos : Julien Mignot

Les vernissages de la semaine du 19 avril
7 d’un coup, le grand jeune public de Catherine Marnas
Sarah Dray

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration