#2. “Der Geist ist wie Spuren der Vögel am Himmel”
A quelques mètres de la Ostbahnhof, la gare de l’Est, s’étendent les restes du fameux mur, dont toute trace a ailleurs disparu de la ville. Dernier vestige de ce symbole, l’East Side Gallery rassemble sur près d’un kilomètre trois-cents dessins d’une centaine d’artistes contemporains de tous horizons géographiques.
Ici, nous sommes côté Est, à quelques mètres à peine du quartier vivant et branché de Kreuzberg qui vibre de l’autre côté de cette barrière psychologique. Zone quelque peu chaotique, entre le no man’s land et la reconstruction industrielle, s’élève face au mur la salle de concert O2 World, où les purs produits de la société capitaliste viennent se donner en spectacle, pied-de-nez fortuit ou volontaire à ces années de brimades.
Plus grande galerie extérieure au monde, l’East Side Gallery est un mémorial international pour la liberté. S’y étalent dessins et messages de paix, ainsi que la reproduction du « Baiser de la mort » entre Brejnev et Honecker dont le cliché fit le tour du monde en 1979. Lieu étrangement silencieux en dehors du trafic de l’immense avenue qui la borde, on y croise peu d’âmes qui vivent si ce n’est les rares touristes venus voir de leurs yeux quelques bribes de légende.
A mi-chemin de ce pèlerinage artistique et historique, une brèche a été taillée dans le mur. Une porte, un passage, une ouverture sur ce qui il y a vingt ans encore était l’Ouest et son flot de signification. Franchir le mur. Bizarrement, alors que plus aucun enjeu n’existe et que le passage est purement symbolique et mémoriel, l’émotion de ces quelques pas demeure pourtant extrêmement forte.
Franchir le mur : générations de Berlinois révèrent de cet exploit, d’autres le tentèrent au péril de leur vie. Aujourd’hui, ces quelques pas anodins suffisent à évaluer combien la distance physique est mineure face à la distance politique. Derrière le mur, côté Ouest, s’étend une plage à l’atmosphère étrange, terrain vague au silence surnaturel bordant le fleuve sur quelques mètres. Une petite plage sale et désolée derrière le mur de Berlin, telle une métaphore fortuite de ce qu’a représenté pendant vingt-huit ans les torrents de fantasmes du passage à l’Ouest pour des millions de personnes. Les traces de ce fantasme demeurent dans l’atmosphère ; étrange climat pourtant paisible de résignation et de déchirement. Je songe à cette phrase que je viens de lire sur le mur “Der Geist ist wie Spuren der Vögel am Himmel” – “Les pensées sont comme les traces des oiseaux dans le ciel”. Ici, le ciel est marqué à tout jamais.