Sylvain Tesson entre vodka et toundra
Dans le cadre de l’année France-Russie, Sylvain Tesson assouvit un rêve qui le titille depuis plusieurs années : passer six mois dans une isba au bord du lac Baïkal. Dans les forêts de Sibérie est le journal d’ermitage de cette expérience.
Alors qu’il fourbit son matériel de survie, Sylvain Tesson sait qu’il met les bouts pour une région que peu de ses lecteurs ont foulée. D’emblée, la Sibérie convoque tout un lexique peu accueillant : goulag, toundra, permafrost, isolement, glace, neige, hiver éternel. La cabane des Cèdres du Nord abrite en contrepoint la chaleur du poêle, les livres dont la liste préparée avec soin est déclinée en préambule, la vodka qui réchauffe les cœurs, et enfin les chiens.
Il y a bien là quelque chose du mythe de la cabane en enfance, jusque dans l’excitation que l’auteur parvient à nous faire partager avant son départ, cartes tracées à la main à l’appui. Géographe de formation, voyageur inlassable, Sylvain Tesson n’en est pas à sa première aventure. Une expérience qui transparaît dans la minutie avec laquelle il décrit son environnement géologique et naturel, l’œil aux aguets, le corps en prise avec des épreuves physiques qu’il semble ne jamais vouloir renoncer à s’imposer. Comme lorsqu’il décide de rendre visite à ses voisins Volodia et Irina, qui résident à cinq heures de marche de la cabane.
Le récit atteint toute son ampleur quand il donne à découvrir les conditions de vie de ces âmes slaves esseulées, dont on se demande ce qui les pousse à vivre dans un environnement si retiré. Peut-être l’ivresse. Sylvain Tesson, quant à lui, sait précisément ce qu’il fuit en s’exilant au fond des bois : une agitation parisienne qui semble l’avoir éreinté, une rupture amoureuse, une quête de silence à l’abri de la civilisation et de son tumulte.
Pourtant, l’introspection impudique à laquelle l’auteur nous convie trouve ses limites dans le ressassement d’un certain nombre de lieux communs, comme il le reconnaît lui-même en guise de conclusion. Maniant quelques rudiments de sagesse bouddhique, notre hôte s’emploie à nous faire partager ses états d’âme et ses émerveillements contemplatifs. L’esprit peut-être gourd de devoir résister à tout ce froid, il se prête alors à des commentaires sur « les Russes », « les Chinois », qui donnent lieu à des généralités d’un intérêt relatif.
Au final, la mission est néanmoins accomplie : lorsque nous refermons le livre, les forêts de Sibérie nous semblent un peu plus proches et nous pouvons rêver de chausser les raquettes, bien au chaud sous la couette.
«Dans les profondeurs, des éponges balancent lentement leurs branches. Des coquillages enroulent leurs spires, battant la mesure du temps et créent des bijoux de nacre en forme de constellations. Des silures monstrueux rôdent dans les vasières. Des poissons carnassiers migrent vers la surface pour le festin nocturne et les holocaustes de crustacés. Des bancs d’ombles tracent leurs chorégraphies benthiques. Des bactéries barattent les scories, les digèrent, purifient l’eau. Ce morne malaxage s’opère en silence, sous le miroir où les étoiles n’ont même pas la force de se refléter.» p. 61
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, Collection Blanche, 288 p., 17,90 euros. Sortie le 1erseptembre 2011.
Visuel : Sylvain Tesson © Hélie – Gallimard.
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