
« Monsieur Amérique » le roman de la vie de Mike Mentzer
Dans un roman biographique ultra documenté mais jamais documentaire, Nicolas Chemla écrit la vie passionnante de Mike Mentzer, champion de bodybuilding entre 1975 et 1985. Une somme de 600 pages absolument captivante publiée par les Éditions Séguier.
Qu’est-ce que le bodybuilding ? Un sport ? Une pratique ? Une modification corporelle ? Le comble du narcissisme ? La victoire du « mental » ? Repoussant pour certains, séduisant pour d’autres, la figure du bodybuilder ne laisse personne indifférent. Quand il s’agit de croiser un culturiste dans un roman, difficile d’échapper au cliché de la gonflette écervelée ou aux mémoires ennuyeux. Il en faut du talent pour écrire une véritable somme sur le sujet sans jamais lasser et Nicolas Chemla relève le défi. Son « Monsieur Amérique » raconte la construction du corps d’un bodybuilder avec rigueur et un sens aigu de la narration.
Mike Mentzer est né à Ephrata (Pennsylvanie) le 15 novembre 1951. La fascination pour « ces corps en action » pour « le roulement des muscles sous la peau », commence dès l’enfance avec les figures de Steve Reeves et Bill Pearl aperçus dans le magazine « Strength and Health ». Élève studieux et brillant, lecteur avide, Mike Mentzer commence à soulever de la fonte à la faveur de rencontres (notamment Myers, ami de son père). Écrire le roman de la vie de Mike Mentzer c’est écrire une page de l’histoire du bodybuilding et la jeunesse du culturiste coïncide avec des découvertes fondamentales, l’ADN, les effets de la testostérone pour ne citer qu’elles. Mike Mentzer débute alors que le bodybuilding tel que nous le connaissons aujourd’hui émerge lentement. Règnent sur les compétitions les clans Weider et Hoffman. Déjà s’affrontent des philosophies de la discipline dont les culturistes sont les porte-paroles. La première partie du livre de Nicolas Chemla se clôt avec l’apparition inquiétante d’un nouveau champion venu d’Europe : Arnold Schwarzenegger, l’ambition faite homme, un culturiste qui n’hésite pas à jouer avec les faiblesses des autres bodybuilders « pour gagner une guerre psychologique ». Mike Mentzer incarne un autre type de champion, un bodybuilding moins narcissique, plus éthique. Il y a de grandes réussites dans la vie de Mike Mentzer : ses victoires, sa méthode « heavy duty », ses amitiés, sa déontologie aussi, d’une certaine manière. Mais il y a aussi l’ombre de la dépression. La troisième partie de « Monsieur Amérique » c’est la chute d’un géant, plus triste que pathétique. Elle n’est pas vertigineuse, cette chute, elle prend son temps et Nicolas Chemla l’évoque avec une grande subtilité.
Parler du bodybuilding de cette époque, c’est forcément parler du masculin, c’est forcément parler de la construction des stéréotypes sur le genre. Si ces sujets ne sont pas directs dans l’excellent livre de Nicolas Chemla, ils sont présents en filigrane à chaque page. C’est un texte qui devrait vite devenir une référence, tant il évoque, à travers la figure d’un bodybuilder hors du commun, des sujets de fond indispensables pour penser notre époque.
Nicolas Chemla, « Monsieur Amérique », Éditions Séguier, collection L’indéfinie, 3 janvier 2019, 608 pages, 22€
Interview de l’auteur réalisée pour le podcast “Paragraphes” :