La France du XIXe siècle vue par un médecin de campagne
Douze ans après “Chronique des quatre horizons” (Albin Michel), Victor Cohen-Hadria offre à ses lecteurs une fresque humaine minutieuse et maturée qu’il a cette fois concentrée dans la Normandie du milieu du XIXe siècle. Par le biais d’un médecin mûr mais pas blasé, l’auteur dresse un portrait sans faux semblants, mais également sans cynisme des dessous des classes sociales et des liens familiaux de cette époque. Un grand livre. Sortie le 19 août 2010.
1859. Le jeune Brutus Délicieux s’engage à la place d’un fils de notable dans l’armée de l’empereur. Alors qu’il risque sa vie en Italie, il laisse derrière lui une fiancée : la jeune Louise, aubergiste. Les deux amoureux séparés sont illetrés. Par le biais de deux médecins, Le Coeur de Rapilly, et le médecin militaire qui prend Brutus comme assistant, Charles Rochambaud. La première partie du livre donne à lire les lettres des deux jeunes gens et les commentaires que leur ajoutent leurs deux scribes-médecins. Le ton est donné : derrière les serments d’amour se cachent, tromperies, appels de la chair, abus de Louise par son père, et les promesses d’attente de cinq ans ne tiennent pas bien longtemps. Après cette somme épistolaire, la deuxième partie du livre est constituée par le journal de Le Coeur. Veuf, plusieurs fois père, rationaliste mais pas anticlérical, médecin de cœur aimant sa tâche et agrémentant ses gains professionnels par la rente de la possession de trois fermes, Le Coeur donne à voir, dans sa tournée quotidienne, l’état de santé et la morale des puissants, des paysans, et des prostituées. Lui-même semble vivre un regain de sève qui le pousse dans des aventures érotiques assez originales, et surtout, il se juge et se regarde vivre avec la même distance mêlée d’empathie qu’il applique à tous les humains.
Dans un style qui se veut d’époque, au vocabulaire parfaitement mesuré, mais sans que l’effort se sente, Victor CohenHadria livre sa propre comédie humaine. La ronde simple et répétée des patients du docteur Le Coeur devient un ballet fascinant au centre duquel ce narrateur bien choisi irradie de charisme et de liberté. On ne lâche pas les 500 pages des “Trois saisons de la rage”, se laissant éduquer par le bon docteur, toucher par les déboires de ses ouailles, et bercer par ses méditations qui ont atteint la sagesse sans être cautérisées par l’ataraxie.
Victor Cohen Hadria, “Les Trois saisons de la rage“, Albin Michel, 456 p. 22 euros. Sortie le 19 août 2010.
“Depuis le début de l’année, j’ai perdu, d’une façon ou d’une autre, plus de dix patients. Autant d’individus avec lesquels j’avais noué des liens de sollicitude et de proximité. Cela forme trois à quatre morts par mois, il ne s’est pas passé une semaine sans que je déplore une disparition.
Cela ne rend que plus présente cette sensation d’une accélération du temps, c’est d’ailleurs sans doute de cette impression que sont nées mon appétence violente d’antidote, et les médications que je me suis appliquées.
Je me permets cette compassion envers moi-même, car à mesure que je me rapproche du terme de mon existence, je fais la somme des inutiles de ma philosophie.” p. 335
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