
Mort de François Cavanna : le mauvais goût et l’amour du français
Le fondateur d’ Hara-Kiri, puis de Charlie Hebdo, est mort hier à 90 ans. Défenseur, jusqu’au milieu des années 80, d’un humour provocateur d’un mauvais goût extrême, en prise avec son temps, il ne lâcha jamais ses positions, tout en se consacrant à ses autres passions : la langue française et l’histoire.
Se faire hara-kiri, pour François Cavanna, constituait « le sommet de la connerie ». Un peu gras, un peu premier degré, Cavanna ? Oui, et totalement assumé. Dès 1960, et la fondation du justement nommé Hara-Kiri, journal bête et méchant, en compagnie de Georges Bernier –qui deviendra le Professeur Choron- il s’est plu, à travers ses dessins, ses reportages- photo truqués et ses couvertures provocatrices, à dynamiter l’esprit de la France de l’époque. Jusqu’à 1986 et sa disparition, Hara-Kiri fut fustigé, qualifié de journal « vulgaire » et « de mauvais goût », « dangereux pour la jeunesse » au départ…Aujourd’hui, beaucoup l’admirent, essentiellement pour les auteurs qu’il rassembla en son sein (nu) : Reiser, Cabu, Gébé… Mais aussi pour son esprit, qui souffla dans beaucoup de coins en France –le journaliste Denis Robert, dans son hommage à Cavanna rédigé rapidement et publié aujourd’hui sur Internet, salue son apport à « la liberté d’expression dans ce pays »- et participa à l’émergence du courant de Mai 68. Cavanna, lui, ne participa justement pas aux événements de ce mois de mai, hospitalisé brièvement pour…une crise hémorroïdaire (c’est lui qui le dit, dans Les Yeux plus gros que le ventre).
Ce dont il faut se rappeler, c’est que Cavanna, né d’un père d’origine italienne, eut un autre amour, qui fut la langue française. Il exprima toujours sa gratitude à l’égard de l’école républicaine. Sa vie fut mouvementée : d’abord postier, il fut envoyé en 1943, à cause du STO, dans la banlieue de Berlin pour travailler en usine de munitions, déblayer des gravats ou creuser des tranchées antichars, puis, à son retour en France, devint dessinateur dans Zéro, journal vendu à la criée. Il ne put s’empêcher de raconter tout ça, sous forme d’autobiographie : Les Ritals, en 1978, Les Russkoffs (prix Interallié 1979), Bête et méchant, Les Yeux plus grands que le ventre, et le roman Maria, publié en 1985. Salué notamment, pour sa production littéraire autant que journalistique, par Pierre Desproges, qui eût souhaité le « demander en mariage » sans « la virulence de [son] hétérosexualité », Cavanna ne laissa jamais tomber l’écriture : Denis Robert, qui préparait un film sur lui, avait titré celui-ci « Jusqu’à l’ultime seconde j’écrirai ». A partir de 1998, il se consacra au cycle des Mérovingiens, publié chez Albin Michel –l’histoire restant une de ses passions- avant de se voir rendre un hommage par la ville de Nogent-sur-Marne, où fut inaugurée, en 2008, une bibliothèque municipale à son nom.
Cet homme situé, en termes politiques, « à gauche de la gauche », était également défenseur des animaux, écologiste, opposé à la corrida, parkinsonien au bout d’un moment, et obsédé par la mort et l’immortalité rêvée de l’homme. Toujours avancer : il tenait, avant de mourir, à ce qu’on filme son réapprentissage de la marche. Plus qu’un rire gras, il laisse, du fait de sa personnalité entière, un souvenir ému.
Visuel: © couverture de Hara-Kiri l’Hebdo, 16 novembre 1970. (Quelques jours plus tôt, le « 5-7 », une discothèque située à Saint-Laurent-du-Pont, Isère, flambait et faisait 146 victimes. Les rédacteurs font référence ici à la mort du général De Gaulle. L’hebdomadaire, supplément consacré à la politique, se fera interdire, et ainsi naîtra Charlie Hebdo.)