Fictions
Une pépite pour les adultes et les grands enfants chez Magnani éditeur : Assaut, de Julie Boudillon

Une pépite pour les adultes et les grands enfants chez Magnani éditeur : Assaut, de Julie Boudillon

22 February 2020 | PAR Zoé David Rigot

Ce mois de février était enclin à la réception de ce court et saisissant roman… on ne s’ennuie pas au quotidien, mais ça en a tout l’air, ça en a même toute la “pierre, papier, ciseaux” – c’est peut-être le moment de se demander : que savions-nous ?

Les éditions Magnani sont le fruit d’une collaboration très sensible entre une auteure-illustratrice, Marion Fayolle, et un auteur-graphiste-éditeur de chez Cornélius, Julien Magnani. Ils se rencontrent au Festival de bande dessinée d’Angoulême, et décident de composer leur maison d’édition indépendante – avec Matthias Malingrey et Simon Roussin accompagnant Marion Fayolle dans la conception de la revue Nyctalope, qui mêle dessin contemporain, illustration, graphisme et bande-dessinée jusqu’en 2017. Les éditions Magnani suivent les envies des auteur·e·s, et c’est ce qui conduit leur ligne éditoriale singulière, la rendant unique. Elles publient majoritairement des albums pour enfants (tel que Le veilleur de nuit, de Jérémie Fischer et Jean-Baptiste Labrune) mais aussi des albums de dessins cohabitant avec un univers personnel sensible (Ciné-club de Simon Roussin), ou un recueil de dessins érotiques (Les coquins, de Marion Fayolle) ou encore des bandes dessinées très modernes et innovantes – ou devrions-nous dire ‘romans graphiques’ ? –  comme Les amours suspendus de Marion Fayolle, qui reçoit le prix spécial du jury d’Angoulême 2018, et Benoît de coco, d’Eugène Riousse (2018). En janvier 2019, les éditions Magnani présentait le roman vertigineux de Jean-Baptiste Labrune, L’ombre de son nom.

Et voilà qu’en janvier 2020 paraît Assaut, de Julie Boudillon. Assaut : quelque chose, comme une sollicitation, advient vivement. C’est un roman saisissant, dans lequel tout nous surprend – c’est apocalyptique, et pourtant tendre. Le lecteur n’entre pas dans un récit à la troisième personne, mais il est entraîné par la première personne du pluriel, nous. C’est ce nous que nous suivons, et ce nous – comme dans La Modification de Michel Butor -, c’est déjà vous, il et elle, mais aussi je et tu, emportés ensemble dans l’assaut. Sur la première de couverture, le contour d’un enfant accroupi de dos, un fusil dans les mains. Il s’apprête peut-être à sauter, mais semble regarder en arrière…

Nous entrons à tâtons, délicatement, dans l’univers étrange de ce récit. En famille, il semble que nous allons dans un port observer des bateaux inquiétants, le clapotis des vagues nous berce, nous sommes comme hypnotisés. Nous tenons nos enfants par la main… Sur l’un des bateaux, nous rencontrons des géants avec lesquels nous mangeons, et puis lentement le monde bascule. Les enfants prennent la main. “À ce moment-là il a bien fallu faire, et ne pas faire, et vivre cette vie inconnue, la vie qui avait commencé dans la lumière bleue de ce matin hagard. Vivre devait devenir résister et lutter. Mais que savions-nous de la lutte, adultes endormis à la surface des habitudes, et que savions-nous de nos enfants ?”

Avec agilité, Julie Boudillon entraîne le lecteur dans une poésie tragique et magnifique, parfois froide et distante, dont la seule chaleur moite émane de quelques regards fuyants. On se voit projeté dans une rêverie sombre et tenace, d’où états d’âme et pensées discordantes sont libérés pour se développer avec espoir. Parce que c’est cela : avec évidence, nous nous trouvons assis sur une culpabilité unanime, avec un goût de sang, une odeur d’herbe fraîche, aux prises d’une espérance innocente.

Ce conte pour adultes, grands enfants, et qui réjouira aussi les ados, est vif et efficace, il fait réfléchir et interroge… il est surtout très agréable de se laisser prendre par la ramification de son mystère habile, qui frôle cette horreur frissonnante de la possibilité d’un dévoilement, d’une trahison, ou d’un démantèlement total.

C’est le premier roman de Julie Boudillon, dans un livre broché et marqué à chaud. Les textes sont typographiés par Julien Magnani lui-même, et sont accompagnés des dessins rêches et atrabilaires d’Eugène Riousse !

 

 

Julie Boudillon, Eugène Riousse, Assaut, éditions Magnani, 144 pages, janvier 2020, 18 euros.

 

 

Visuel : première de couverture d’Assaut, éditions Magnani.

Cycle Intégrale Sergueï Loznitsa : l’oeuvre, vivante et vaste, du maître ukrainien
“Jeune Noir à l’épée”, le manifeste d’Abd Al Malik aux Hivernales
Zoé David Rigot

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration