
“Ludwig dans le Living” : Théo Bourgeron et l’ogre philosophe
Prix de la page 111, le premier roman de Théo Bourgeron ne met pas en scène son “neveu” mais bien le philosophe Wittgenstein lui-même, apparition hallucinée d’un monde qui s’engloutit lui-même. Un polar métaphysique grinçant.
Par Jules Ceylan
Docteur qui voit une fois par an son directeur de thèse, le philosophe Augustin Barthelme est spécialiste du mythique Tractatus logico-philosophicus du logicien autrichien Ludwig Wittgenstein. Il vit chez sa mère en banlieue morne dans un futur proche et il travaille poliment au rayon produits laitiers d’un Franprix plus proche du centre de Paris. Sa vie s’écoule calmement, jusqu’au jour où le philosophe au cœur de sa recherche fait une apparition. Non content de se montrer, plus de 70 ans après sa mort, Ludwig Wittgenstein absorbe tout ce qu’il trouve sur son chemin : lait, humains et décors, avec une gloutonnerie alarmante…
Un absurde lumineux
Dans le tout petit monde du héros du roman, l’irruption surnaturelle du défunt philosophe qui mange au lieu de parler est génialement absurde. Cruelle et grinçante, cette première fiction met en scène un anti-héros très classique et sage dans un monde où l’apparition surnaturelle du philosophe révèle la folie. Il y a bien du modernisme mitteleuropéen dans ce texte finalement plus respectueux de “l’esprit” de Wittgenstein que de sa pensée. Héritier d’une époque et des décombres d’un empire où la raison triomphante est percutée par la violence qui marque ses limites, Ludwig dans le Living figure un monde où l’icône engloutit le réel qu’il a tenté de déplier. Quand les philosophes sont aussi magasiniers et quand les sujets de thèse dévorent les mères, il y a peut-être un peu de Karl Marx derrière la figure de Ludwig Wittgenstein.
Théo Bourgeron, Ludwig dans le Living, Gallimard, collection Sygne, 224 p., Sortie le 13/10/2022. 19 euros.
Visuel © couverture du livre