Fictions
Le Soldat désaccordé : Obus, Accordéon et Fille de la lune

Le Soldat désaccordé : Obus, Accordéon et Fille de la lune

23 August 2022 | PAR Nathalie Valluis

Dans son quatrième roman publié, comme les précédents, Aux Forges de Vulcain, Gilles Marchand raconte, avec la douceur et la poésie qui lui sont propres, une (des) histoire(s) d’amour au milieu d’une guerre dont le sens échappe aux rescapés.

Dans les années qui suivent la guerre de 14-18, un ancien combattant recherche les hommes disparus et tente de réhabiliter les soldats fusillés à tort. Un matin de 1925, il est convoqué dans un restaurant chic par une certaine Jeanne Joplain, qui lui demande de retrouver son fils, Emile.

« Avait-elle reçu un courrier, entendu quelque chose, un compagnon de régiment l’avait-il informée de quelque élément propre à relancer son optimisme ?
« Il est parti trop jeune pour mourir »

Certes. L’argument se tenait et c’était le cas pour quelques centaines de milliers de soldats. Mais ça ne constituait pas le début d’une piste »

Une guerre à hauteur d’homme

A défaut d’indice, il faut partir du début en reconstituant le parcours militaire d’Emile et en rencontrant ceux qui l’ont croisé.

Mais tous ces hommes, rassurés par la blessure de celui qui les sollicite – une main gauche arrachée au début des combats – ont beaucoup plus à dire : « Tout ce qui venait hanter leurs nuits et qu’ils désiraient épargner à leur famille ».

Comme un puzzle dont les pièces éparses ne forment pas encore une image claire, le parcours d’Emile et les souvenirs de guerre s’étalent sous nos yeux. Pas de second rôle dans ce roman : chacun des témoins, à commencer par le narrateur, a une histoire essentielle à livrer.

Un meilleur ami, un rabbin/curé, un médecin-major amateur de Bordeaux, un vieillard de contes de fées, une infirmière allemande… ils parlent d’Emile l’Amoureux.

« L’amour, ça se partage bien, t’en prend un bout, il en reste autant à celui qui t’a raconté l’histoire. C’était facile d’être généreux. Et pour cela, celui qui était le meilleur, d’après tous ceux qui l’avaient rencontré, c’était Joplain. Son histoire surpassait toutes les autres ».

Mais ils racontent également la Fille de la Lune, les amis perdus, les moments de grâce, les Canadiens, les Indiens d’Amérique, Apollinaire et Charles Péguy, les permissions ratées, la culpabilité et les regrets, l’impossible retour, la paix pour toujours.

Jusqu’à l’incroyable tournant de l’enquête

Pour paraphraser Raymond Davisse, précieux acolyte de notre détective qui s’exprime essentiellement sous forme de numéros :

Numéro du chapitre où le roman bascule : dix-huit. Numéro de page correspondant : cent vingt-sept. Numéro de la page jusqu’à laquelle vous n’arriverez plus à interrompre votre lecture : deux-cent quatre. Nombre de nuits de veille potentielles en résultant : une.

Les liens, les contours, le fil conducteur des souvenirsrassemblés apparaissent soudain comme une évidence.

Les histoires et l’Histoire se mêlent pour nous embarquer dans ces moments d’émotion intense dont Gilles Marchand a le secret, ceux qui nous attachent profondément à ses personnages, même après la fin de la lecture.

Pour les curieux, numéro de la page qui recèle une dernière énigme musicale (dans les Remerciements) : deux cent sept.

A propos de musique

« Le Soldat désaccordé » s’entend autant qu’il se lit.

Au martèlement des obus qui entrecoupe le récit de l’un des témoins (« Ça explosait de partout et lui souriait », « Et ça explosait de partout autour de nous », « Et ça explosait de partout ») répondent « la voie d’Emile, et les mains d’Emile, et les mots d’Emile, et les bras d’Emile, et la gentillesse d’Emile », comme la constance de l’Amoureuse (« Tu le connais ? Il est beau comme un prince et il parle comme un poète »).

Les enveloppes tintent en la majeur dans une boîte aux lettres, un orgue apparait dans les tranchées, un accordéon lâche un dernier soupir.

Avec une boite à rythme et la complicité d’un ami violoniste, Gilles Marchand avait créé des lectures musicales de son précédent roman, « Requiem pour une apache ».

Il n’est pas exclu que la boite à rythme reprenne du service pour ce nouvel opus. Lisez et, si vous avez aussi l’occasion de participer à cette expérience inédite, n’hésitez pas, foncez !

Gilles Marchand, Le Soldat désaccordé, Editions Aux Forges Vulcain, 208 pages, 18€, sortie le 19/08/2022.
Visuel (c) Couverture du livre

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Nathalie Valluis

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