Fictions
“Cher Connard” : les lettres mordantes de Virginie Despentes

“Cher Connard” : les lettres mordantes de Virginie Despentes

01 August 2022 | PAR Yaël Hirsch

C’est l’un des roman les plus attendus de cette rentrée littéraires 2022. Virginie Despentes donne la parole à deux voix des années 1980 qui analysent #metoo dans une correspondance personnelle et intense. Punk toujours, elle offre des analyses passionnantes, comme autant de boulets rouges… Cher Connard est un nouvel opus brillant et qui réveille ! 

La star et l’écrivaillon 

“Cher connard”. C’est ainsi que commence le MP de la divine star incandescente au gringalet plumitif qui a osé faire un post s’attaquant à son physique. Elle a de l’esprit, elle a un “No future” qui dure malgré la soixantaine qu’elle approche. Et lui fait vite marche arrière pour se livrer : il était le petit frère de sa meilleure amie; il l’a toujours admirée et il a cherché un peu bêtement à attirer son attention. Il écrit bien, même quand il ne fait que se plaindre – de ses origines modestes, de sa laideur et de son peu de succès auprès des femmes – avec en premier lieu sa mère. Et surtout, il se plaint d’avoir pris en plein visage un #metoo qu’il n’avait pas vu venir et remonté du passé : l’attachée de presse de son premier roman à succès, dont il était éperdument amoureux, l’accuse d’avoir gâché sa carrière avec ses avances et d’avoir poussé la maison d’édition de l’époque à la renvoyer quand elle a dit non. Malgré tout, la divine vieillissante retrouve un peu de mémoire sur son passé à Nancy à travers les missives électroniques de l’auteur sur la sellette. Elle le conseille, avec distance et ironie, elle l’écoute aussi quand il s’agit de désintox car tous deux partagent, en plus d’un milieu commun, une forte dépendance à la vie brute qu’on trouve dans la drogue… Un brin nostalgique mais souvent très lucide, leur dialogue montre comment une génération déjà un peu dépassée par la tempête se positionne par rapport à #metoo. 

Un texte punk, drôle et vivant

Le personnage de l’actrice adulée malgré elle qui a su rester punk, libre et convoitée malgré les années, les kilos et le défilé de bad boys est un point d’ancrage lumineux pour rehausser le teint vert olive de l’écrivain venu de milieu modeste, content de sa petite gloire, en plein bad trip d’anti-héros devenu sobre et néanmoins sensible et éclairant. #metoo les interpelle tous les deux, avec des zones de nuances de remise en cause que n’a pas l’attachée de presse au compte très suivi, sure de sa parole enfin libre. Néanmoins, les plus solides et ceux qui finalement n’ont pas besoin d’être protégés sont les deux vieux artistes ayant pratiqué une sexualité libertaire post 68 et se posant tardivement des questions sur les contours du consentement. La jeune femme plus si jeune est bloquée dans sa plainte, eux évoluent, peuvent non seulement baisser les yeux et se réfugier dans une maison qu’ils ont les moyens de louer, mais sont aussi tentés d’aider, de s’excuser, de penser et d’empathiser… Le résultat est donc assez nuancé, avec pas mal de points pour les connards, contre toute attente, et beaucoup de vie avec et malgré la révolution en marche. 

Un début flamboyant… 

Seul petit hic de ce roman d’autant plus au-dessus de toutes les mêlées qu’il nous place au cœur de questions sociales cruciales, c’est le rythme. On nous promet des Liaisons dangereuses de l’année 2022 sur la quatrième de couv’ mais la drogue prend le pas à un moment donné et ralentit la machine et le rythme. Trop. Il n’empêche, le début est éblouissant, l’écriture d’une fluidité et d’une liberté qui respire la vie sans compromis. Et l’on est ravis de retrouver Virginie Despentes qui mobilise toujours Nancy, le passé et les années punk et frime qu’on a adorées dans Vernon Subutex, pour éclairer un aujourd’hui persillé de masques et de covid, mais où la société a changé parce que les femmes parlent et qu’elles nous font réfléchir. Reste à savoir si les connards, eux aussi, peuvent changer.

Virginie Despentes, Cher Connard, Grasset, 352 p., 22 euros. Sortie le 17 août 2022. 

visuel(c) couverture du livre 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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