
“Etre ici est une splendeur” de Marie Darrieussecq : une histoire d’amour
Rien ne sert de tourner autour du pot (de peinture !), appelons cela une histoire d’amour. Celle d’une romancière talentueuse tombée en émoi devant l’œuvre d’une peintre allemande, encore méconnue en France : Paula Modersohn-Becker. Parallèlement à l’écriture de ce roman biographique, elle a participé au commissariat de l’exposition “Paula Modersohn-Becker” , à découvrir avant le 21 août au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
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Paula Modersohn-Becker a désiré plus que tout devenir peintre, à une époque où il était encore extrêmement difficile pour une jeune femme d’imposer ses choix et ses aspirations. Alors qu’elle peint d’innombrables portraits d’enfants qui fascinent par leur mystère, elle-même repousse la maternité, dont elle sait pertinemment qu’elle mettra en péril sa carrière naissante. Quand Paula franchit le pas, presque à regret, elle meurt foudroyée par une embolie pulmonaire dix-huit jours seulement après avoir donné la vie, en soupirant “Schade” – Quel dommage !
Et c’est ce petit mot expiré, chargé de toutes les ambitions non réalisées, qui a bouleversé l’écrivaine Marie Darrieussecq. Au point de vouloir sur-le-champ lui écrire, non pas “un tombeau”, comme le veut l’expression, mais tout le contraire : s’en tenir aux faits pour ressusciter la jeune femme, reconstituant patiemment sa vie intérieure, grâce notamment à sa très belle correspondance avec sa mère, et avec le grand poète Rainer Maria Rilke, à qui Marie Darrieussecq a emprunté le titre de son roman.
Il faut dire que tous les ingrédients “Darrieussecquiens” semblaient s’être donné rendez-vous : la maternité, la féminité, le poids du corps – sans doute s’agit-il de la première femme à se peindre nue dans l’histoire de l’art -, mais aussi la difficulté à allier conjugualité et vie d’artiste. On sent la modestie de l’auteur, qui veut s’effacer devant la peintre pour lui laisser toute la place. Ce qui n’empêche pas de retrouver la plume vive et crue qui vibrait en Solange dans Clèves (2011).
Outre la découverte de cette peintre, il faut lire cet opus pour sa grande réussite littéraire, ce ton biographique inédit, entre familiarité et révérence.
Un coup de cœur et un coup au cœur.
“À l’époque romaine on enterrait les femmes adultères seins en avant dans la tourbe. On retrouve aujourd’hui leurs corps intacts dans les marais. Mille ans la bouche ouverte sur l’horreur de la tourbe, et la désintégration au contact de l’air, la poussière recueillie dans l’église, celle dont Clara et Paula ont fait sonner les cloches en l’honneur du crépuscule… écrit Rilke à Lou.” p. 35
Interview de Marie Darrieussecq
Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker, Marie Darrieussecq, P.O.L., 152 p., 15€