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Clèves : Marie Darrieussecq livre une éducation sentimentale très crue

28 July 2011 | PAR Yaël Hirsch

Après “Truismes” (1996), “Tom est mort” (2007), Marie Darrieussecq livre chez P.O.L. le roman d’éducation sexuelle aussi trash que juste sur la psychologie des jeunes-filles. Dans une ville perdue de la France des années 1980, la petite Solange voit ses seins pousser et son désir poindre. Va-t-elle “le” faire? La réponse en librairies le 25 août prochain.

Solange arrive à l’âge de la puberté dans le bourgade de Clèves. Nous sommes dans les années 1980. Le père de Solange est soit-disant pilote de l’air et toujours absent, sa mère souvent malade et en voyage, si bien que c’est le voisin, un vieux garçon qui fait la “nounou”. Parfois, Solange échappe à sa surveillance pour se rendre à la kermesse, ou elle obtient sa permission pour passer du temps chez son amie Rose, si parfaite avec ses parents si aisés, sortes de bobos prémonitoires des années 1980. Un jour Solange saigne. “Les avoir” (première partie du roman) est très inconfortable et limite angoissant, étant donné les légendes urbaines qui circulent. Rose se sent devenir une femme et se met à réver non pas du prince charmant mais de l’amant parfait (ie violent, et qui traite volontiers sa partenaire de manière humiliante). Va-t-elle “Le faire” (deuxième partie)? Si oui avec qui? Son ange-gardien? Un sexy pompier dans la boîte locale, ou avec Arnaud le lycéen désinvolte tellement plus grand qu’elle, à une soirée organisée par une camarade de classe. Enfin, puisqu’elle y prend goût et qu’elle se veut aussi libérée que Kim Wilde (Madonna n’intervient qu’en toute fin de roman, quand Solange a presque l’âge de faire une fugue avec son amant), la jeune Bovary des années 1980 se demande si elle va “Le refaire” (troisième partie). Espérons pour elle que oui, et souvent….

Machiavélique, Marie Darrieussecq dépeint avec une crudité et une cruauté qui peut bien faire blêmir le Houellebecq des grands jours l’initiation à la sexualité d’une jeune-femme loin d’être bête et antipathique. Clève est un jeu de massacre où l’auteure salit son héroïne de page en page, la violence de la boue frappant régulièrement cette petite seule au monde et persuader qu’exister c’est plaire et que plaire c’est s’offrir. La charge est d’autant plus horrifiante que l’auteure prend un malin plaisir à maltraiter son personnage en  détournant les schémas des plus grands romans d’éducation et textes psychologiques, ceux-là même qui sont bien agglutinés au fond de notre inconscient quand on pense à l’adolescence et qu’on a toutes ou tous plus ou moins lus à cette période. Il y a Clèves bien sûr qui n’a plus rien à voir avec la noblesse de l’héroïne de Madame de Lafayette, mais est un village perdu à une heure de la mer et où la jeunesse est condamnée à végéter. Il y a la structure, qui fonctionne comme une tragédie classique, en 3 actes, avec deux unités sur trois respectées à la lettre  (action, lieu) et mort au final. Il y a surtout le style, quasiment classique,  souverainement élégant et acéré. Courageux aussi puisque l’auteure appelle un chat un chat, parfois sur plusieurs pages.  Clèves est un excellent roman, où la perfection formelle est mise au service d’une démonstration sur l’abject. Il rejoindrait donc une lignée très noble, si Darrieussecq avait un tout petit peu moins de subtilité et pouvait distiller plus de précisions sur l’objectif qu’elle vise quand elle envoie sa pauvre Solange se faire volontairement et régulièrement violer.

Clèves, de Marie Darrieussecq, POL, 350 p., 19 euros.
Être à beaucoup plus tard. dans un mois, dans un an an, dans deux ans, dans trois ans. Avoir seize ans. Avoir dix-huit ans. Attente insupportable. Etre adulte. Ce qui s’appelle une femme. Savoir de quoi la vie est faite, à quoi ma vie ressemblera, qui je serai. Pouvoir aller, venir, téléphoner, parler, m’en aller. Baiser. Baiser. Prendre la Terre entière et baiser. […] * D’attendre, elle ne sait plus qu’elle est là“. p. 177

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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