Essais
“Le cinéma à l’épreuve du divers” : les réflexions essentielles de Jean-Michel Frodon

“Le cinéma à l’épreuve du divers” : les réflexions essentielles de Jean-Michel Frodon

15 March 2022 | PAR Yaël Hirsch

Jean-Michel Frodon propose du 16 au 22 mars une programmation de 7 films autour de la thématique de son dernier ouvrage Le cinéma à l’épreuve du divers (CNRS éditions). 

Alors que #metoo a montré combien le cinéma était une caisse de résonance pour les débats que suscite la prise en compte et le respect de la diversité, dans cet essai, l’ancien directeur des Cahiers du cinéma et spécialiste des liens entre cinéma et politique dépassionne ces débats pour nous donner la “big picture” de ce que le 7e art peut offrir en termes d’ouverture. 

Pour lire notre grand entretien avec Jean-Michel Frodon en 2015, c’est ici.

Le cinéma cristallise les conflits

C’est avec un recul salutaire que Jean-Michel Frodon nous rappelle dans son essai riche en références à l’histoire du cinéma combien celui-ci est un “double foyer” d’ouverture à la diversité et de lieu de représentation des conflits qu’elle suscite. Son approche qui dépassionne les débats actuels pour mieux les comprendre dépasse d’ailleurs le simple cadre de l’histoire du cinéma et n’hésite pas à nous faire une piqûre de rappel sur la manière dont le grand écran est un lieu de projection de nos inconscients collectifs. Ces grandes théories inspirées du marxisme et de la psychanalyse dans les années 1930 montrent comment dès l’origine, mais aussi parce qu’il est né en même temps que l’ère des foules, le cinéma a souvent avancé conscient de l’impact de ce qu’il projette. 

Le cinéma est une école de la diversité et de l’altérité 

Faisant “éloge de l’anachronisme” et jamais du conservatisme pour nous montrer comment, très tôt, le 7e art a posé certaines questions comme la  question coloniale, Jean-Michel Frodon, qui affectionne Panahi, Kiarostami et Assayas aussi bien que Jia Zhang-ke, développe son argumentaire de la Projection nationale (Odile Jacob, 1998) pour nous montrer combien les films sont des fenêtres sur les contrées du monde. Plus encore, par son mode de fonctionnement même qui multiplie les regards : sujets, réalisateur, caméra, équipe du film, public, le cinéma est une école de diversité : “le dispositif même du cinéma implique donc une triple altérité, altérité de celui qui filme vis-à-vis de ce qu’il filme, altérité entre les différentes personnes associées à la réalisation du film, altérité de chaque spectateur envers ce qui a été filmé et qui lui est présenté” (p. 79). Et le politique se joue selon deux axes “l’axe qui relie ceux qui filment à ceux qui sont filmés, et l’axe qui relie ceux qui filment à ceux qui regardent les films” (p. 146) Mais si tout regard qui filme risque de provoquer un abus de pouvoir, il est possible d’y répondre par une réflexivité qui inclut le divers. 

Le cinéma permet de mieux se situer ici et maintenant

La diversité, c’est donc une caméra qui embrasse et met en présence de l’altérité, aussi bien dans le temps, dans l’espace  et dans la classe sociale que dans les mentalités. La seule question qui nous laisse peut-être un peu sur notre faim dans cet essai très clair et évidemment très référencé est sur la place du féminin ou du genre, trop compressée dans deux chapitres : le succinct “oeil du genre” et  l’original ” mystère du regard  frontal des femmes”. Mais au-delà de cette envie d’en savoir plus, l’ouvrage parvient à ne jamais nier combien le cinéma peut porter à conséquence sur la question politique de la diversité, tout en engageant à nous ouvrir aux opportunités de dialogue et d’ouverture qu’il apporte. Le cinéma à l’épreuve du divers finit par un beau plaidoyer pour une “diplomatie du regard”. 

Jean-Michel Frodon, Le cinéma à l’épreuve du divers, Politique du regard, CNRS éditions, 256 p., sortie septembre 2021.

Programme du festival 

Jeudi 17 mars à 18h30, présentation dédicace du livre à la Librairie de Sciences Po, 187 Bd Saint-Germain, 75007.

PROGRAMME DES SÉANCES présentées par Jean-Michel Frodon. 

Mercredi 16 mars 19h30 35 rhums de Claire Denis (2009. 1h40), en sa présence

Jeudi 17 mars 20h00 Yeelen de Souleyman Cissé (1987. 1h45)

Vendredi 18 mars 19h30 Je veux voir de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (2008. 1h15) en leur présence. 

Samedi 19 mars 19h30 Voyage à Yoshino de Naomi Kawase (2018. 1h50)

Dimanche 20 mars 19h30 La Dernière Piste de Kelly Reichardt (2010. 1h44)

Lundi 21 mars 19h30 Dernier Maquis de Rabah Ameur Zaïmèche (2008. 1h33) en sa présence

Mardi 22 mars 19h30 Nous d’Alice Diop (2021. 1h57) en sa présence. 

visuel (c) couverture du livre

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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