“La mort n’est que le début… de l’enquête du médecin légiste”, ou quand la réalité ne fait qu’une bouchée de la fiction
Avec les nouvelles séries qui se développent depuis quelques années, une nouvelle figure héroïque est arrivée. Une figure fantasmée, souvent bien loin de la réalité : celle du héros médecin-légiste. Seulement voilà : comme pour toute les figures dont s’est emparé la télévision, ce qu’elle nous montre est bien loin de la réalité, et le professeur Silke Gragherr vient de faire paraître un livre qui démontre les limites, les fantaisies parfois aberrantes de ces personnages de fiction, mais qui initie et explique également la réalité de ce métier passionnant.
Il convient avant tout de présenter l’auteure et son poids dans la communauté scientifique, ce que font d’ailleurs les premières pages. Une manière de poser ici un argument d’autorité, car ce n’est effectivement pas la première personne venue qui signe ce livre, mais « une référence internationale » qui est devenue, à 36 ans seulement, directrice du Centre universitaire romand de médecine légale. Ajoutons qu’avant même d’être titularisée, Silke Grabherr avait inventé – entre autre ! – l’angiographie post-mortem, une technique qui s’est depuis exportée à travers le monde (elle revient d’ailleurs dessus au cours du chapitre 5, avec un entrain communicatif). Petit détail supplémentaire : « parmi le nombre volumineux de dossier qui lui sont soumis, aucun n’est classé parmi les cold case ».
Toutefois, si son autorité scientifique est rapidement démontrée et a de quoi impressionner en guise d’introduction, l’aspect didactique est lui aussi présent, avec un humour assez délectable, principalement dans les tout premiers chapitres qui font la part belle aux inepties des séries télévisées, sans jamais pour autant dénigrer ces dernières : l’auteure pointe du doigt les énormités employées pour satisfaire les audiences, faisait sourire ou rire le lecteur, mais elle n’emploie jamais de ton condescendant. Au passage, si elle se permet d’égratigner l’image impeccable du héros hollywoodien ténébreux, usant d’un géni scientifique sans limite et de bases de données abracadabrantesques, ce n’est jamais gratuit, et l’ouvrage est en réalité avant tout un cumul d’informations sur le travail véritable du médecin légiste, et même sur certains aspects du fonctionnement du système légal, en Suisse naturellement, mais aussi en Allemagne ou en France. On y apprend notamment que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les Etats-Unis sont loin d’être à la pointe de la technologie dans le domaine, et que la fiction est parfois en retard sur la réalité pour ce qui est des méthodes ou des instruments. On voit également qu’un médecin légiste n’ausculte pas que les morts, qu’il a un rôle d’expert, qu’il n’est pas le premier médecin appelé sur les lieux d’un crime (il faut en effet d’abord avant tout qu’une victime soit officiellement déclarée morte avant de faire appel au légiste), ou encore que de nombreux cas de morts non naturelles sont hypothétiquement mal catégorisées : grâce à une pratique supplémentaire d’examen détaillé mise en place dans certaines régions allemandes, « des milliers de morts violentes ont pu être découvertes, y compris des homicides », dont des étranglements, ou des coups (de bâton ou de couteau). On est donc bien loin de l’épisode hollywoodien où, d’un simple regard circulaire, le héros détecte une brindille prouvant la nature criminelle de la mort !
Il ne s’agit là que d’un maigre échantillon du condensé d’informations que recèle l’ouvrage, dont la lecture s’avère d’une facilité déconcertante, et l’attrait digne d’un bon roman policier. Le lecteur passera bien par toutes les facettes du métier de médecin légiste, y compris les examens toxicologiques qui ne sont pas de son ressort mais qui s’avèrent être un outil important dans son travail, notamment d’expert devant combiner l’ensemble des résultats d’analyses pour en déduire les causes du décès (comme c’est le cas en Suisse). Une brève Histoire de la médecine légale n’est pas non plus oubliée, de même qu’un petit sous-chapitre dédié aux (contre-)expertises dans les affaires de Yasser Arafat et Lady Diana. La question de l’ADN et de son emploi occupera de son côté tout un chapitre.
En d’autres termes, “ce livre va vous montrer que la réalité peut être bien plus complexe qu’un crime résolu en 45 minutes” – ce dont on se doute déjà – mais il va également aider le commun des mortels à comprendre les règles de cette science particulière. Nul besoin de connaissances pointues en médecine ou en droit : « laissez-vous guider par ce livre qui vous fera découvrir le monde méconnu (mais fantastique) de la médecine légale » grâce à une plume on ne peut plus vivante. Passionnant !
Prof. Silke Grabherr, La mort n’est que le début… de l’enquête du médecin légiste, Favre, 148 pages, 19 €
visuel : couverture du livre