
Joseph Kessel : Plus de 1500 pages sur la « piste du Lion »
Réédition d’un « roman » fleuve de 1985, cette biographie de Joseph Kessel est une somme parfaite qui ressort à point, en temps de Coronavirus et de confinement, puisqu’elle fait longuement voyager avec une des figures les plus aventurières et truculentes du siècle, Joseph Kessel.
C’est un ami proche de Joseph Kessel et interlocuteur de son dernier grand reportage, qui était sur Israël (Les fils de l’impossible, Plon, 1970), Yves Courrière qui dédie une biographie fleuve au « Lion ». Son livre poursuit peu ou prou une trame chronologique, de l’auberge familiale que quitte le père Samuel à Kovno quand il fait défection aux études rabbiniques pour aller vivre en France. Lui-même né en Argentine en 1898, mais lycéen à Nice, aîné d’une fratrie de trois, en deuil très rapidement de son petit frère Lazare avec qui il a passé le conservatoire d’art dramatique avant de s’engager comme aviateur pendant la Première Guerre mondiale, Joseph Kessel connaît son premier succès littéraire avec L’Equipage à 25 ans.
Correspondant du Journal des débats avant de cocréer Gringoire où il publie en épisodes Belle de Jour en 1928, Kessel vit de ses reportages mais aussi de l’immense succès de ses romans. Yves Courrière présente le portrait d’un rustre russe, fêtard au-delà de l’excès, demandant à ses diverses compagnes de le suivre dans ses tournées de vodka et harengs, très attaché à sa première femme Sandi, morte de phtisie en 1928 mais incapable de monogamie et accumulant les épouses et maîtresses officielles, toujours dans le « trop », s’endettant pendant dix ans la seule fois où il se met au Casino….
Rien de fin ou de séducteur donc dans ce Kessel rustre, si ce n’est trois points centraux : un courage animal, la fidélité en amitié et toujours indéfectiblement et surtout les bons choix politiques : quitter Gringoire quand le magazine vire antisémite (et pour le coup, se fâcher avec Henri Béraud) ou être ému à l’appel de Pétain, ne pas entendre celui de De Gaulle, mais depuis Lisbonne et avec d’Astier de la Vigerie : choisir Londres. Et dans tous les cas, aussi loin Kessel soit-il de la religion, l’ancrage juif est clé : c’est contre l’antisémitisme qu’il lutte dès les années 1930 et c’est Israël qu’il soutient, de son premier voyage sur place au dernier.
Montrant les failles du lion, son angoisse de vieillir, Yves Courrière présente aussi avec intensité les moments d’écriture, acharnés, obsessionnels, et met en avant combien c’est peut-être par ses romans, Le coup de grâce, Fortune Carrée, La Passante du Sans-Souci et évidemment L’Armée des ombres, ou le Lion, plus que par ses reportages, que l’Académicien est résolument immortel.
Une fresque immense, sur un reporter par un autre reporter, qui se lit facilement et fait revisiter l’histoire du 20e siècle depuis un avion, sans oublier, les racines, juives, de Kessel.
Yves Courrière, Joseph Kessel ou sur la piste du Lion, Plon, collection « l’abeille », 1536 p., 17 euros, Sortie le 5 mars 2020.
Visuel : couverture du livre