
Christian Salmon, La cérémonie cannibale
Écrivain et membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS /EHESS), Christian Salmon collabore régulièrement au « Monde ». Il est notamment l’auteur de Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et il vient de publier La cérémonie cannibale, ouvrage récemment paru chez Fayard.
L’HOMME POLITIQUE, DE MOINS EN MOINS UNE FIGURE D’AUTORITE
Le storytelling des hommes politiques et son décryptage compulsif par les médias sont devenus, en l’espace de quelques années, les deux mamelles d’une démocratie envoutée, dans le cadre de laquelle le récit s’est substitué à l’action, la distraction à la délibération, le stage craft (i.e. l’art de la mise en scène) au state craft (i.e. l’art de gouverner). La politique est finalement passée de l’âge de la joute à celui de l’interactif. La performance narrative joue un rôle décisif. On est passé de la diversion à la dévoration des attentions. L’homme politique apparait, de plus en plus, comme un produit de consommation, comme un artefact de la sous-culture de masse.
LE POUVOIR IMPUISSANT A EXERCER LE POUVOIR
Sous l’effet du néolibéralisme et des nouvelles technologies, le pouvoir s’est sensiblement désacralisé. Il a perdu de son lustre, puisqu’il est constamment profané par les médias, ridiculisé par les marchés, soumis à l’écrasante tutelle des organismes internationaux et des agences de notation. Dans cette perspective, l’homme politique apparait désormais comme une sorte de spectre éclairé par les flammes de sa propre dévoration.
L’EXCESSIVE INFLUENCE DE LA COM’
La communication politique ne vise plus seulement à formater le langage, mais plutôt à capter et à plonger les esprits dans cet univers spectral, dont les hommes politiques sont à la fois les performers et les victimes.
L’ouvrage de Christian Salmon propose un récit de l’évolution de l’homme politique à travers ses mots, son langage et son attitude. Cette analyse est passionnante qui jette une lumière crue sur l’envers du décor politique. D’après lui, l’Europe ou du moins sa gestion a directement contribué au déclin de l’homme politique stricto sensu. En effet, la souveraineté s’appuie sur le pouvoir et un dispositif représentatif du pouvoir, bref sur une puissance d’agir. Mais tout ceci parait avoir disparu : désormais, il existe des hommes politiques nus et une bureaucratie excessivement anonyme à Bruxelles. Ce qui importe maintenant, c’est l’apparence que la communication s’efforce de rendre attrayante.
L’auteur évoque l’existence d’une profonde crise de confiance, que le nouveau pouvoir ne parvient pas véritablement à juguler, dans la mesure où il tend à copier l’ancienne équipe. Le recours à la seule communication est, il est vrai, plus qu’habituel. La France est passée de la « rupture » sarkozyste à la « boite à outils » hollandienne.
Un opuscule salvateur, qui incite à la réflexion sur l’état de la démocratie en France.
Christian Salmon, “La cérémonie cannibale. De la performance politique”, Fayard, 2013, 160 p., 12 euros