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BD : Malade d’amour, à Bombay

06 November 2008 | PAR marie

Jeune graphiste douée, Kari vient de perdre Ruth, son grand amour. Dans une ville malodorante et étouffante (« Smog city »), entre des colocataires envahissantes, elle tente de se reconstruire, de s’assumer. Un roman graphique de la jeune Amruta Patil paru aujourd’hui.

  Comme Aravind Adiga, le lauréat du Booker Price 2008 (Le Tigre Blanc), Amruta Patil est indienne, a étudié en Grande Bretagne puis est retournée dans son pays natal ; comme lui, c’est une trentenaire douée qui dépeint l’Inde sans concession. Quand, dans Le Tigre Blanc, Aravind Adiga, évoquait l’Inde de “la Lumière” et de celle “des Ténèbres“, Amruta Palil dessine une Inde grise, une Bombay malodorante, étouffante, (c’est la 6e agglomération la plus peuplée du monde) une ville aux égouts à fleur de chaussée mais que les pluies diluviennes, les rituels religieux et les orgies salvatrices viennent régulièrement purger.

kari

Tout juste débarquée dans cette « Smog City », Kari, jeune fille de 21 ans, se remet d’une  double tentative de suicide : la sienne et celle de son grand amour Ruth. Les deux jeunes filles ont sauté un jeudi, et depuis, Kari a le cœur à vif. Etrangère dans la ville, la jeune fille l’est aussi chez elle, à Crystal Palace, où elle vit entre « deux princesses dansantes », et « les deux squatteurs […] accrochés à leurs formes » : ses collocs et leurs hommes. Pour échapper à ce « marécage d’ostéogène », où elle se fait tour à tour materner et draguer, se plonge dans son travail à l’agence de pub et dans son imagination. Elle liera justement les deux, en mettant à profit ses images de princesse, le fantôme de Ruth, pour ses graphiques du projet « Chevelure Féérique », le produit capillaire sur lequel elle travaille. Le lecteur navigue alors entre l’imagination colorée, quasi fantastique, de la jeune fille, et son regard acerbe, parfois mélancolique d’une réalité grise.

 

 

 

kari

A ce tiraillement, s’en superpose un autre, celui d’une jeune indienne écartelée entre des soirées orgiaques, des « nids de serpents » dans lesquels elle ballade ses « doigts lascifs, inquisiteurs voire missionnaires », et des parents qui estiment que leur fille « se vautre dans le vice avec des dégénérés ». Kusumtai, l’aide ménagère du Crystal Palace, participe au maintien d’un semblant d’ordre : à son passage, les divers copains des deux jolies collocs deviennent des « cousins éloignés » et les mégots disparaissent avec les cendriers. Lesbienne, et par là étrangère parmi les étrangères, Kari fait office de “passeur”, de diplomate entre ces deux mondes ; elle observe, conseille et console, tout en tentant, elle-même de trouver, d’assumer sa place.

amrutaPar son genre (le roman graphique), les propos acerbes et drôles de la narratrice sur son pays, ses dessins métaphoriques, Kari a pu être rapproché de Persepolis. Il lui manque toutefois l’ampleur (par le nombre de pages et l’enjeu historique soulevé) de la BD de Marjane Satrapi… Mais Amruta Patil travaille à un autre ouvrage, une épopée mêlant mythe et histoire : à ce premier roman initiatique qu’est Kari succédera peut-être le Persepolis indien ?

Kari, d’Amruta Patil, traduit par Morgane Saysana, Ed. Au diable vauvert, 128 p., 18 euros Parution le 6 novembre 2008

 

 

 

 

Marie Barral

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