BD : le roman graphique de Michel Kichka
Michel Kichka nous offre avec Deuxième génération, ce que je n’ai pas dit à mon père, un beau roman graphique et autobiographique. Le pari n’était pas aisé, parler de soi n’est déjà pas évident, mais lorsque son propre père est un rescapé de la Shoah, cela devient une véritable gageure…
Michel Kichka a mis dix ans avant d’écrire-dessiner cette bande-dessinée, dix ans à la penser, à la rêver, à la mettre de côté, dix années nécessaires pour avoir suffisamment de recul, pour que l’enfant pardonne, pour que l’homme devienne père à son tour et comprenne que rien n’est si évident.
Se raconter soi, c’est raconter les non-dits du père puis sa prise de parole. C’est parler du silence pesant du père puis de son témoignage tardif de rescapé tout aussi pesant. C’est parler d’une génération brisée, obsédée par sa seule souffrance, et du manque d’amour maternel. C’est parler de son devoir d’être le fils exemplaire. « Etre juif, c’est quoi quand son père est une victime de la Shoah » et lorsque les enfants de la deuxième génération portent le poids des ancêtres morts (en portant le noms des disparus) ? C’est se construire, se reconstruire, exister, vivre, et fonder une famille, à son tour.
L’auteur – il est illustrateur – traverse ces questions à travers le médium qui pour lui était le plus naturel et le plus évident (et surtout après avoir lu Maus de Spiegelman) : la bande-dessinée. Faisant d’ailleurs, ici et là, des clins d’œil savoureux aux héros et anti-héros de son enfance, on reconnaît Tintin, Gaston Lagaffe…
La BD, affranchie désormais de sa pseudo condition d’art mineur et pouvant être prise au sérieux, devient une véritable libération graphique et psychique. En quatre chapitres et un épilogue, Kichka mêle la grande Histoire avec son histoire personnelle, il fait de son propre récit une création artistique, et ça marche ! Il mêle plusieurs strates de temps qui s’imbriquent au fil des pages, au gré des souvenirs comme des petites parenthèses. S’enchevêtrent des fragments du récit rétrospectif de son enfance, de son adolescence, du passé de son père imaginé par l’enfant qu’il était alors, de l’homme d’aujourd’hui vivant en Israël avec sa famille. Ce montage, que seul peut créer avec autant de liberté la bande dessinée, donne un réel dynamisme spatial et narratif.
L’émotion est présente, mais jamais pesante ni pathétique, et le récit, subtilement mené avec intelligence et humour fait de cette sorte de lettre au père une vraie belle réussite.
Source visuel : éditions Dargaud