« Le Londres-Louxor », architecture utopique au cœur du nouveau roman de Jakuta Alikavazovic
Après le succès de « Corps volatils » (Goncourt du premier roman 2008), Jakuta Alikavazovic revient chez l’Olivier avec un autre roman où ses origines balkaniques et l’exil à la suite de la guerre de Yougoslavie apparaissent en filigrane d’une histoire d’amour et d’architecture très parisienne. Une énergie et une culture qui ne peuvent que séduire.
Dans un Paris Baal Babylone aussi bien hantée par son passé que fréquentée par une faune d’exilés venus de toute l’Europe de l’est, Esme est une jeune fille pas très sûre de sa beauté, assez réfléchie et timide à rebours puisqu’elle accepte d’endosser la représentation médiatique et télévisée de livres écrits par un autre. Elle traîne souvent au cinéma déserté le Londres-Louxor, dont les labyrinthes et les consommateurs ont la fâcheuse manie baroque de suggérer plutôt que de dénoncer. Un vieux garçon critique littéraire infect, Anton, tombe amoureux d’elle, via les livres qu’il n’a pas écrits. C’est toujours mieux que les hommes qui fondent pour Esme après un dépit amoureux avec sa sœur, et Anton et Esme forment un couple étrange et fascinant : lui, vieux garçon, détaché de tout confort matériel, ou de toute velléité de faire reconnaître son talent, et elle, si réservée qu’elle en disparaît presque de la page. Les tourtereaux vont-ils réussir à retrouver la sœur de Esme sans trop creuser dans un passé douloureux d’exil, de traditions brisées, de langues oubliées et de doute radical sur la nature de l’homme (et de la femme) ?
Dans un style drôle, rapide, et complice, la jeune Alikavazovic sait suggérer les trous noirs du passé, sans jamais s’appesantir sur une trop plombante mémoire. Luftmädchen peu banale, Esme erre dans les couloirs du Louxor, très critique vis-à-vis des séductions de braise de sa sœur et pourtant éperdument dépendante de son retour dans sa vie. Cosmopolite, postmoderne, et architecturalement très documenté « Le Londres-Louxor » est un roman français… qui ne ressemble pas à un roman Français, mais à une tentative digne du nouveau monde de recréer tout un pays sous-terrain à partir de la seule déficience de mémoire du personnage principal. Il y a à la fois du Borges et du Blanchot dans ces disparitions obscures et néanmoins tellement éclairantes sur les nostalgies sans centre de l’exil.
« Le Londres-Louxor », de Jakuta Alikavazovic, L’Olivier, 192 p., parution le 7 janvier.
« Il arrivait peu de choses à Esme ; tout était fait de façon à ce qu’il lui arrive le moins de choses possible. Elle était satisfaite de cette organisation. Elle voulait que sa vie soit à l’image des lieux qu’elle occupait. Elle vivait dans un studio très simple ; d’un regard on y voyait tout. Cela la rassurait. Elle avait des meubles de série, scandinaves, qu’elle avait montés elle-même. Sans les livres disait sa sœur, son appartement aurait eu l’air un peu spartiate. Sans les livres il aurait eu l’air militaire. »
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