Cinema
Hannah Ha Ha : une mini épopée bien croquée, dépouillée et solaire

Hannah Ha Ha : une mini épopée bien croquée, dépouillée et solaire

21 March 2023 | PAR Geoffrey Nabavian

Le duo de jeunes réalisateurs américains Joshua Pikovsky et Jordan Tetewsky dirige une fiction qui s’attache, au plus près, à une jeune fille solaire et forte tête sommée de rentrer dans le rang.

Voici un long-métrage dépouillé, et sans effets artificiels. Le dépouillement peut être synonyme de grisaille. Ici, le duo de jeunes réalisateurs américains originaires de Nouvelle-Angleterre Joshua Pikovsky et Jordan Tetewsky la cadrent, la petite grisaille sociale du sujet qu’ils filment. Mais plutôt que de l’appuyer ou de la gommer, ils veillent à la capter avec les rayons de soleil qui se mélangent à elle.

Loin du démonstratif

Leur film – projeté en Compétition pour le Grand Prix Janine Bazin lors des Entrevues, fin novembre 2022 prend place dans une petite ville de banlieue américaine un peu verdoyante, donc. Leur héroïne est une jeune fille qui fait des petits boulots à son rythme et organise en grande partie son existence par rapport à son père, qui commence à n’avoir plus toute sa tête. Pour la suivre au fil de son parcours, les deux réalisateurs font de vrais choix. On remarque vite que le film n’a pas des rouages scénaristiques très prononcés. Ceci n’est pas plus mal : il paraît donc coller à son sujet, il l’embrasse pleinement. Il se place à mille lieues du démonstratif.

Surtout, de temps à autres, les réalisateurs laissent leurs images être pas mal floues. On peut rester frappé par cette décision. D’autant plus qu’à certains autres instants, les deux cinéastes donnent à suivre des scènes qui apparaissent davantage carrées et nettes, par contraste. Ce sont notamment celles où la jeune héroïne Hannah passe des entretiens. Son frère, qui travaille dans une entreprise dont il vante le dynamisme, l’enjoint en effet à trouver un travail qui rentre dans l’économie normale. C’est avec ces mots mêmes qu’il vient l’encourager à se ranger.

En dehors de ces séquences d’échanges, très réussies, le flou qui irrigue le cadre saute donc aux yeux et reste en tête. Il questionne et interpelle. On remarque qu’il n’est aucunement instrumentalisé pour donner de la symbolique. Il est une composante de l’univers du film. On peut le percevoir autant comme un aspect qui fait partie du mental d’Hannah, que comme quelque chose qui est là. Qui trône à côté des pérégrinations quotidiennes de tout un chacun. Un nuage de flou qui vient rappeler que le monde autour a un horizon infini et qu’il vaut mieux parfois continuer à se tracer un petit chemin personnel.

Se perdre avec le sourire

On aime aussi penser que ce petit brouillard filmique sert à suggérer un décor, davantage qu’à le montrer en l’appuyant. C’est ainsi que l’atmosphère de la petit ville décrite s’affiche à l’écran : toute nimbée de gris et de soleil mêlés. Elle porte un joli air réaliste et concret, pas esthétisé ou imprégné de misérabilisme.

Ne reste qu’à garder les yeux posés sur les petits chemins qu’emprunte l’héroïne, superbement incarnée par la jeune Hannah Lee Thompson. Cette interprète et le film paraissent s’accepter mutuellement, conserver leur oeil l’un sur l’autre et inversement pour se dévoiler l’un l’autre, et s’offrir une pulsation commune. Roger Mancusi, qui incarne le frère, apparaît lui aussi remarquable, par contraste. Son charisme s’impose tant il semble concret, face à une soeur et un film qui prennent le temps de tâtonner parfois, et de se perdre avec le sourire, pour mieux et toujours se retrouver.

*

Visuel : affiche américaine

Rock The Pistes 2023 : un festival au top !
Le Gang des Bois du Temple : un film patient, tissé avec rage et grâce
Avatar photo
Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration