Festival EntreVues, jour 2 : Mocky toujours et début de la compétition
Deuxième journée douce et ensoleillée en Franche-Comté pour le deuxième jour du Festival EntreVues. C’est le thème du désir qui l’a emporté mais légèrement mélancolique, en ce dernier dimanche de novembre à travers 6 films de Jean-Pierre Mocky dont l’avant-première du “Mentor”, un Mizoguchi, un Erich von Stroheim et un Vittorio de Sica terribles chacun en leur genre autour de l’argent et de ses tentacules de solitude. Avec sa légèreté grave, la “Sérénade à Trois” de Lubitsch est quand même venue sauver les quelques cinéphiles romantiques du désenchantement. Enfin, la compétition a bel et bien commencé à travers trois longs et trois courts-métrages surprenants.
La journée a donc commencé par un film rare de Jean-Pierre Mocky : “Un couple” (1960). Résolument daté, et marquant bien le tournant des années 1960 et le titillement du désir de liberté sexuelle, ce film pose la question de la fidélité face à la lassitude des corps. Autour d’un couple beau comme le jour (Juliette Mayniel et Jean Kosta), marié depuis 3 ans et sentant que les couleurs de sa relation pâlissent, circulent plusieurs autres personnages tous plus ou moins tentés d’aller voir ailleurs. La plupart n’iront pas, pour ne pas blesser, ni le conjoint, ni les conventions. Mais la soif d’absolu des deux héros les entraîne vers un malheur annoncé. Versant sombre des formidables “Vierges” (1962), “Un couple” saisit sur le vif le grand tournant qui touche la famille au tout début des années 1960. Les sentiments, le désir et l’individualisme l’emportent dans un grand remous de mélancolie sur la stabilité (par ailleurs dénoncée par Mocky) de l’institution.
En deuxième créneau à 14h, deux superbes films sur le thème de l’argent se faisaient un peu d’ombre, puisqu’il fallait choisir. Certains ont vu “Les rapaces” (1923), film muet dont les intertitres éteint traduits de l’anglais en live et signé Eric von Stroheim. Terrible histoire d’un mineur en Californie (Gibson Gowland) qui décide de s’établir à son compte comme dentiste sans licence et dont le couple qu’il forme avec l’économe puis avare TRina (Zasu Pitts) ne survit pas à un gain inespéré et fatal à la loterie.
D’autres ont préféré “La rue de la honte“(1956), grande fresque de Kenji Mizoguchi sur la fin des courtisanes à Tokyo. D’égéries cultivées et raffinées, protégées dans des maisons closes sophistiquées, celles ci sont devenues dès le début du film des prostituées sur le mode occidental : obligées d’alpaguer le client pour nourrir un fils, un mari malade ou pour se sustenter elles-mêmes et exploitées par leurs tenanciers. Mais une loi est présentée à la Diète qui interdit les maisons closes. Que vont devenir les femmes dont l’érotisme était le métier?
A 15h30 le coup d’envoi de la compétition a été donné. Avec deux courts américains et un long argentin. La séance s’est faite en présence du réalisateur du premier court “Broken Specs” (2012) : Ted Fendt et de l’actrice principale du deuxième court la neo baby-doll, Naomi Lilla. sans vraiment de scénario, le premier film livrait 6 minutes brutes de vie de banlieues américaines. Néo nouvelle-vague, blindé de musique yéyé et parlé en Français en costume d’époque, “Keep a Tidy soul” rejouait Faust avec une France Gall à la moue toujours proche de sa brosse à dent. Sauf que le diable la conseillant pour retrouver ce qu’elle a perdu était un mignon koala en peluche. Drôle de pastiche, assez jubilatoire. Beaucoup plus grave, le long-métrage argentin “La destruccion del orden vigente” remonte la piste d’un meurtre, à travers le joli minois et la chevelure blonde d’une fugitive entre Buenos Aires et Montevideo. Avec une patine très années 1970 et un mystére parfois un peu bruyant, le film dégage une certaine poésie même si la qualité de la projection était encore sur le mode du brouillon et l’entrée dans une intrigue compliquée sans motif semble assez difficile.
A 18h, présenté par son producteur (ci-contre avec Catherine Bizern)passait l’avant première du deuxième long-métrage de la réalisatrice de “La vie au ranch” (2010), film que nous avions vraiment apprécié (voir notre critique). Présenté à Locarno cet été, ce deuxième opus de Sophie Letourneur s’appelle “Les coquillettes” et met en scène trois filles autour d’un plat de pâtes et de cupcakes débriefant leur aventure … au festival de Locarno. Incarnées par Sophie Letourneur elle-même, Camille Génaud et Carole Lepage, les trois actrices défilent en flash-backs dans des tenues aussi invraisemblables qu’une robe donald duck et draguent à 35 piges comme si elles avaient 14 ans. Et nous, on se demande vraiment si la pantalonnade mutée en assaut de pintades est bien à prendre au douzième degré.
Estimant que la cure de Mocky était assez solide sur deux jours, nous avons malheureusement raté l’avant-première du “Mentor” où le réalisateur joue un pygmalion sympathique et qu’il est allé présenter comme tous ses films cette semaine (ce qui fait une moyenne de 4 interventions par jour!).
Ceci nous a permis de voir au vol un deuxième long-métrage de la compétition, l’étonnant “Orléans” de Virgil Vernier. Ovni qui a déjà eu quatre nominations à Locarno, ce film se découpe en trois parties puzzle : une ouverture en patchwork d’orfèvre du Land Art sur Jeanne d’Arc et sur sa ville. Un cœur de film qui suit le devenir de deux jeunes-femmes de 20 ans faisant du strip-tease en boîte de nuit pour pouvoir se payer le luxe de quitter Orléans. Puis à partir du moment où leur route croise dans la forêt celle de la figurante sensée interpréter Jeanne d’Arc lors des défilés dédiés par la ville à la sainte, le film se transforme en épopée quasi-mystique aux images grandioses. Touchant, magistralement filmé, le film demeure néanmoins problématique quant à son message. Étant donné la récupération malheureuse de la pucelle par certains extrêmes, refaire les Dieux du Stade à Orléans flirte tout de même avec le brun.
Le film de 20h le plus couru était “paradis défendu” de Lubitsch avec la mythique Pola Negri (1923). Encore un muet donc, prévu avec un concert + lecture (et parfois invention nous a-t-on dit) d’intertitres qui a fait salle plus que comble. Mais nous avons préféré terminer cette cure de films à Belfort comme nous l’avons entamée : Avec un rafraîchissant Mocky, toujours fringant pour présenter le superbe “Ville à vendre” (1991) avec l’un de ses acteurs venus à Belfort spécialement pour l’occasion : Tom Novembre (ci-contre : le réalisateur, l’acteur et Catherine Bizern). Avec Michel Serrault, Richard Bohringer, Valérie Mairesse, Darry Cowl, Philippe Léotard, Eddy Mitchell et Daniel Prevost au générique et Mr Mocky himself en diable à l’accent allemand sorti d’un film expressionniste, avec la musique de Kosma et des dialogues irrésistibles. Avec tout ça, donc mais sans aucune prétention, cette fiction d’avant-garde sur une ville frontalière du Luxembourg entièrement à vendre après le démantèlement des usines greffe de la bioéthique au polar glauque et fait néanmoins hurler de rire.
Laissant les fans d’horreur aller se faire grand peur devant le Halloween de Rob Zombie, nous avons suivi le staff du festival, ses invités et ses jurés à la grande salle des fêtes de Belfort, parée de tous ses feux pour un banquet plein d’entrain et avons dansé comme rarement un dimanche soir sur un DJ Set parfaitement raccord avec la thématique adjointe au Lubistch “C kan kon kouch ?”. Simple et sexy pour dire au-revoir au festival EntreVues dont nous continuerons toute la semaine à suivre depuis Paris la compétition, révélatrice de jeunes talents. Critiques des films, à venir, donc.
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