
Etonnante Vie Murmurée: à la rencontre d’un Japon insoupçonné
Primé à plusieurs reprises et en salle le 30 novembre, La vie murmurée offre un séjour déroutant parmi les lecteurs fanatiques de Osamu Dazaï. Marie-Francine LE JALU et Gilles SIONNET signent un étonnant long-métrage qui travaille de l’intérieur le Japon contemporain.
En tête des ventes au Japon depuis une vingtaine d’années, les romans d’Osamu Dazaï sont pour beaucoup, plus que des livres de chevet, une drogue, un onguent qui apaise et cultive les rêves. Disparu en 1948, Osamu Dazaï laisse derrière lui le souvenir d’une vie de scandales, débauchée et provocatrice, très loin, surtout, de la lignée aristocratique dont il était l’avorton. Sa légende se nourrit d’une troublante coïncidence qui veut que son corps ait été retrouvé dans le canal Tamagawa, le jour même de son trente-neuvième anniversaire. La fin brutale de cet enragé à la plume svelte et envoûtante ayant survécu suicides amoureux et multiples tentations du désespoir, rassemble chaque année, sur sa tombe dans la banlieue de Tokyo la foule de ses admirateurs. C’est à cette occasion que les deux réalisateurs ont rencontré les témoins passionnés du phénomène Dazaï et auxquels La vie murmurée entend laisser la parole.
Un étudiant en sciences politiques, une ouvrière rockeuse la nuit, le vice préfet de Tokyo – écrivain à ses heures, un cadre supérieur marié et père de famille, une jeune blogueuse désoeuvrée et inquiète, une dessinatrice de mangas… autant de lecteurs passionnés des romans de Dazaï qui trouvent dans son écriture sinon une forme d’alter ego, du moins un exutoire à leur angoisse toute personnelle. Soleil couchant, au premier titre, semble apporter un écho réparateur et réconfortant pour des individus inquiets d’appartenir à une société individualiste et oublieuse de son équilibre. A travers la description de ces « gens du soleil couchant », la société impériale en déclin à l’aube des années 1950, Dazaï propose un questionnement éthique que plusieurs générations de lecteurs s’approprient, voulant croire elles aussi que “l’homme est né pour l’amour et la révolution”.
En naviguant d’un témoin à un autre, d’un univers à un autre, d’un appartement à un autre, Marie-Francine LE JALU et Gilles SIONNET proposent une traversée fascinante d’un certain Japon. Les barrières culturelle et linguistique qui séparent ces étrangers ont paradoxalement facilité le partage, faisant tomber les codes de bienséance. Ainsi, l’expérience intime et solitaire de la lecture s’avère-t-elle le moyen infaillible d’une rencontre avec un Japon de l’envers, de l’angoisse et du non-dit – un Japon de vies murmurées.