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Cinédanse : Philippe Oyhamburu vu par Lucia Barahona

Cinédanse : Philippe Oyhamburu vu par Lucia Barahona

15 June 2023 | PAR Nicolas Villodre

Le 25 juin 2023 sera projeté en avant-première, au cinéma Royal de Biarritz, Bizi naizeno, je danserai la vie, un portrait du musicien, chanteur et danseur basque Philippe Oyhamburu réalisé par sa petite-fille Lucia Barahona, produit par Crossroads. En attendant une sortie du film dans le réseau de salles du groupement Cinevasion et sa présentation début juillet à Bidarray par Kanaldude.

 Flashback

Le biopic débute par un retour en arrière d’une dizaine d’années, le protagoniste et la réalisatrice tombant tous deux d’accord sur la manière de retracer le parcours de ce qu’il faut bien appeler une figure historique de la culture basque ayant consacré sa carrière et sa vie à transmettre l’art choral et les danses traditionnelles. Et, le cas échéant, comme il le dira dans le film, à les mettre à jour avec peu de moyens de production. Cette courte scène produit son effet de distanciation en dévoilant non seulement la complicité entre celle qui se tiendra une heure durant derrière la caméra et son objet d’étude. Le documentaire est par ailleurs classique, qui alterne propos du chorégraphe et extraits d’archives, de films 8 mm et d’émissions de télévisions retrouvées à l’INA.

Cette plongée dans le passé se clôt par un flashforward, autrement dit, par une anticipation ou, plus exactement, un retour au présent, pour ne pas dire pléonastiquement “au jour d’aujourd’hui”, avec la célébration du centenaire du héros puis de son 101e anniversaire, l’an dernier, le toujours fringant et élégant surnommé “Poupou” étant né en 1921. Il se forme à la danse relativement tard, vers vingt ans, initié en 1942 par le maître à danser biscayen Don Segundo de Olaeta, réfugié de la guerre civile espagnole, poursuit un assez long moment avec le groupe de celui-ci, qui prend le nom d’Oldarra en 1945, troupe qu’il dirige artistiquement mais qu’il quitte en 1953 pour fonder sa propre compagnie, Etorki. Sa plus grande réussite étant d’avoir montré en une trentaine d’années qu’Etorki ne désignait pas uniquement un fromage de brebis mais l’héritage tout entier de la culture musicale et chorégraphique basque.

Danse de caractère

Cette culture ne manque pas de “caractère” : elle a influencé la danse baroque comme le ballet classique. Le vocabulaire de la danse académique a intégré dès le XVIIIe siècle le “pas de basque” (à base de dégagé ou demi-rond de jambe), le “saut de basque” (ou grand jeté enveloppé ou “coupé sauté en tournant”), le “tour de basque” (ou piqué enveloppé), le grand saut de basque, etc.

L’écrivaine Christine de Rivoyre, née le même année qu’Oyhamburu qu’elle avait connu en 1936 à Hendaye, consacra à Etorki un bel article en 1954 : ” Dès le premier son arraché à cette étrange flûte appelée « txistu », on est dans le bain, au cœur des légendes de la Biscaye et du Guipozcoa, prisonnier de ce peuple à la fois accueillant et farouche, de ces filles, de ces garçons, chaussés de sandales, danseurs-nés qui parlent un langage truffé de sonorités orientales et qui s’appellent Nekane, Sorkunde, Txelo, Polentzii Pantxika.” Membre du PC durant dix ans et directeur du Centre culturel de Vitry au milieu des années 60, Oyhamburu se heurte au stalinisme ambiant et vire de bord après les “événements” de Prague pour épouser la cause libertaire.

Parmi les documents de l’INA qui émaillent le film, nous avons apprécié un Discorama de 1961, produit par la géniale Denise Glaser, réalisé par Roger Iglesis avec des transitions de… Jean-Pierre Darras et Philippe Noiret, où Oyhamburu évoque une tournée mondiale de sa troupe. Mais aussi Ballets et chœurs basques Etorki de Saint-Jean de Luz (1969) de Raoul Sangla (lequel avait fait partie d’Etorki lors de la tournée de 1955 en RDA), émission qui détaille le spectacle du Théâtre de la Gaîté Lyrique : Mabil danza (danse des drapeaux), Danse des bâtons, Espata Danza (danse des épées), Uztaï Danza (danse de l’osier), Auresku, instrumental au Txistu, Danse du verre, Danse de Roncal et le Ballet des sorcières (sous influence béjartienne). Un document plus récent montre le trio de vétérans qu’il forme en 2011 et 2012 avec Jean Nesprias et Koldo Zabale pour la pièce du jeune chorégraphe Mizel Théret, Je me souviens… Oroitzen naiz… Recuerdo… dont avait rendu compte positivement Marie-Christine Vernay. Le film de Lucia Barahona permet de découvrir “un homme qui a eu le génie d’organiser sa vie comme un ballet”, pour citer Armand Gatti.

Visuel : Philippe Oyhamburu, affiche de Bizi naizeno, je danserai la vie (2023).

 

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