
Cannes 2018, en compétition : “Les Eternels”, ou le polar dramatique selon Jia Zhang-ke
Jia Zhang-ke, le réalisateur récompensé à Cannes pour A Touch of Sin, puis scandaleusement oublié au palmarès 2015 pour Au-delà des montagnes, est de retour en compétition avec Les Eternels. Un film où il mêle polar, drame et romance. Son traitement fait un peu déjà-vu, mais son style accouche toujours de merveilles.
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À la vision des premières scènes des Eternels, d’emblée, on sent que le réalisateur Jia Zhang-ke s’est mis en tête d’essayer de nouvelles choses. Pas d’envolées lyriques maîtrisées à longueur de scènes, ou de séquences ultracorrosives, cette fois : on se trouve plutôt face à un film dont le début puise ses énergies et son intrigue dans les villes de la campagne chinoise, et dans leur réalité sociale. L’image est plus grise qu’à l’accoutumée, et le style un peu plus réaliste.
Il n’empêche qu’on retrouve la flamboyance propre au cinéaste qui signa Au-delà des montagnes. Mais de manière plus rentrée, plus intérieure… Le film est construit autour d’un énigmatique personnage féminin : Qiao (Zhao Tao, inoubliable dans Au-delà des montagnes…). Fille de mineur amoureuse d’un séduisant caïd, elle cache un mystère exceptionnel derrière son visage sec et ses yeux pétillants. Dure, sûre d’elle, elle aide activement son compagnon pour s’assurer une vie meilleure, tout simplement. Quelques figures imposées du polar défilent ensuite : ce couple est presque au sommet, mais il est menacé dans sa ville par une bande rivale.
Tout au long de cette première partie, le style prend le temps de s’installer, au fil de scènes un peu fantaisistes mais quand même sobres et réalistes. Mais des ruptures s’invitent. Et cette manière de faire trouve son apothéose dans une grande scène d’affrontement, au cours de laquelle Jia Zhang-ke filme les combats au poing avec une maestria inattendue.
Épopée longue, qui traverse les lieux, les temps et les sentiments, et cherche au final à rassembler deux personnages sans cesse déchirés par leurs destins et leurs aspirations différentes, Les Eternels ne renouvelle pas totalement les grandes figures du drame romantique ou du film d’ascension criminelle. Mais la maîtrise, très personnelle, de Jia Zhang-ke, et ses splendides acteurs – Zhao Tao, mais aussi Fan Liao – assurent tout son souffle à l’histoire. Plus que de réflexion politique, il s’agit ici de style et de mise en scène. Jia Zhang-ke nous emporte dans une histoire, à sa façon : c’est déjà ça. Et cette façon de faire est très personnelle.
Les Eternels, film réalisé par Jia Zhang-ke, avec Zhao Tao et Liao Fan, présenté en compétition au festival de Cannes 2018. Durée : 141 minutes. Sortie française au cinéma : le 26 décembre.
Geoffrey Nabavian
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Visuels : © Ad Vitam