[Compétition] “Mountains may depart” : un chef-d’œuvre lyrique, risqué, bouleversant
L’histoire d’un trio de jeunes chinois. Et de l’oubli, par un pays, de ses propres racines. Un film dominé par un point de vue de cinéaste, au scénario inattendu, aux interprètes formidables, au ton enjoué, versant dans le fantastique. En bonne voie, peut-être, pour la Palme d’or.
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Lorsque s’ouvre Mountains may depart, en Chine, c’est 1999. Une musique électro enjouée résonne : c’est le nouvel an. Et la première image montre les invités de la fête, effectuant une chorégraphie splendide. Les paroles de la chanson sont au futur : c’est « Go West ». L’avenir est devant ces jeunes qui dansent. Mais nous sommes dans un film de Jia Zhang-ke : on sait que le futur va prendre une teinte sombre.
Ce film romanesque et magnifique va se concentrer sur une femme, Tao (interprétée par Zhao Tao). D’abord jeune fille de Fenyang aux larges pommettes, aimant beaucoup chanter. Puis femme ridée aux yeux éplorés, des années plus tard. Voir la caméra de Jia Zhang-ke épier comme un amoureux ses moindres expressions, est un pur délice. On va rencontrer ses deux amis d’enfance, à présent désireux de la conquérir. Et comme souvent chez notre réalisateur, chacun représentera une facette de la Chine pré-XXIème siècle. Dans le rôle du jeune entrepreneur enrichi et sûr de lui, en pleine ascension, Jinsheng (joué par le sidérant Zhang Yi). De l’autre côté, un guichetier de mine, très souriant : Lianzi (Liang Jingdong, émouvant). Rapidement, Tao va faire son choix. Et lier son destin à celui d’une Chine en mutation.
Puis progressivement, la langue anglaise va s’installer au sein du film. Et avec elle, la science-fiction… La Chine actuelle, nous dit Jia Zhang-ke, vit à l’heure anglaise. Et les vrais bons chinois travaillent dans les affaires internationales à Shanghai. A Fenyang, coin reculé, les petites industries ont fermé. Rien n’est récent. Personne ne parle de langue étrangère : le fils de Tao, en visite chez sa mère, ne connaît pas le chinois. Et pourtant, les gens ne sont pas considérés comme utiles…
« Nos montagnes peuvent s’en aller », même si elles soutiennent un pays. Jia Zhang-ke exprime des critiques, mais reste universel. Il chante son incompréhension. Il pousse son scénario (dont on ne révélera rien) sur des chemins extrêmes, risqués. Que sa mise en scène, simple, concrète, pas prétentieuse, rend crédibles. Que les acteurs qu’il dirige, très peu nombreux, habitent littéralement. Ici ils ne sont plus des réceptacles à critique sociale, comme dans A touch of sin. Non : Mountains may depart est un film de chair et de fièvre, parfois très drôle, où chaque plan signifie quelque chose. Où un œil observe le monde.
On se sentirait donc bien, au jour d’aujourd’hui, de lui attribuer une Palme d’or, ainsi qu’un Prix d’interprétation pour l’un des trois acteurs principaux. On pourrait regretter que l’un de ceux-ci soit un peu sacrifié au cours du récit. On choisira plutôt de goûter la forme du film, qui, après avoir évité tous les pièges, finit sur un message universel : l’avenir est encore à nous, si nous n’oublions pas nos racines. Merci.
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Mountains may depart, un film de Jia Zhang-Ke. Avec Zhao Tao, Liang Jingdong, Zhang Yi, Dong Zijang. Drame, Chinois. Durée : 2h11. Distribution France : Ad Vitam.
Visuels : © Ad Vitam / Droits réservés
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