Cinema
Aux Entrevues 2021, un réel décalé vers l’imaginaire en Compétition

Aux Entrevues 2021, un réel décalé vers l’imaginaire en Compétition

24 November 2021 | PAR Geoffrey Nabavian

La Compétition pour le Grand Prix Janine Bazin a vu passer, dans les débuts des Entrevues édition 2021, trois fictions réfléchissant sur la place de l’imaginaire au cœur de réalités parfois dramatiques. Le Festival se poursuit jusqu’au 28 novembre.

Au sein de leur Compétition de premiers, deuxièmes et troisièmes films, ouverte à tous les publics, les Entrevues voient passer des regards singuliers. Tels celui du réalisateur Kiro Russo, originaire de Bolivie, qui livre avec son long-métrage Le Grand Mouvement – projeté sous la bannière des producteurs/distributeurs de Survivance qui le sortiront dans les salles françaises le 30 mars 2022 – un portrait des conditions de vie des populations pauvres survivant à La Paz, évoquant aussi au passage les anciennes croyances encore ancrées en certains de ces habitants, et se permettant de surcroît des embardées originales et fiévreuses.

S’intéressant tour à tour à Elder, travailleur manuel venu sans rien dans la capitale et épuisé par ses sept jours de marche, à la vieille femme toujours volontaire qui l’appelle “mon filleul” et à Max le sorcier de la montagne croyant toujours aux anciennes magies, le film adopte une forme crue – photo au grain très apparent, maladie décrite sans détour… – et y insère progressivement des séquences glissant vers le rêve ou le quasi fantastique, très réussies. Des scènes employant des procédés cinématographiques voyants, à l’inverse de celles qui captent les conditions de vie horriblement difficiles des populations décrites, mais présentes non pas afin de produire des effets esthétiques, mais davantage il semble pour traduire la fièvre hantant les endroits où se tient l’action. Un climat rendant fou, malade, possédé par des forces supérieures, qu’elles soient anciennes ou créées par l’Homme…

Aux côtés des passages intimistes et engagés, ces envolées parfois sombres finissent par donner au Grand Mouvement une force souterraine qui lui fait parler aux tripes. On aura été au final, côté Compétition toujours, moins convaincu hélas par Sous le ciel de Koutaïssi, d’Alexandre Koberidze, réalisateur originaire de Géorgie : décrivant l’écoulement de la vie dans une petite ville sur fond de conte fantastique, voyant deux jeunes gens amoureux être victimes d’un sort qui les fait changer d’apparence physique et les empêche donc de se reconnaître, il met hélas sa durée de deux heures vingt-sept au service de longues séquences sans beaucoup de chair, manquant de profondeur.

Un autre regard original découvert au sein du Festival est celui de la réalisatrice non binaire Jane Schoenbrun, d’origine américaine. Son film We’re all going to the World’s Fair – qui a pour producteur exécutif David Lowery – tranche : il a des allures de production d’horreur, et a recours à plusieurs procédés du genre, et pourtant il reste aussi porteur d’un côté dramatique très prononcé. C’est qu’il ausculte une situation relevant du réel le plus cru : une jeune adolescente très isolée, ne parvenant à communiquer avec d’autres qu’en faisant des vidéos pour YouTube, annonce un jour face à sa caméra d’ordinateur qu’elle veut participer à “l’Exposition Universelle” – la “World’s Fair” du titre – un jeu de rôle d’horreur joué via Internet. Avec tous ses participants qui finissent par confier, dans les vidéos qu’ils font, qu’ils sentent de graves changements en eux…

Un film qui relève, au final, de l’horreur psychologique. L’objectif central de sa réalisatrice reste de montrer des personnes n’allant pas bien, essayant de communiquer mais s’y prenant mal, et connaissant une chute tragique : Casey, l’héroïne – jouée par une magnifique Anna Cobb, ici dans son tout premier rôle – entrant en contact avec un mystérieux JLB, via Skype… Très actuel tant il met à l’écran frontalement YouTube et ses usages d’aujourd’hui, le film fait surtout le choix de plonger au cœur de son sujet, et de ne jamais dévier de route. Ce faisant, il en tire une terreur psychologique de première main, qui offre un authentique voyage au bout de l’horreur tant elle est viscérale.

Les Entrevues, à Belfort, et leur Compétition de premiers, deuxièmes et troisièmes films pour le Grand Prix Janine Bazin, se déroulent jusqu’au 28 novembre 2021. Infos et réservations : https://bit.ly/3lqwC6P

Visuel 1 : la projection du Grand Mouvement présentée par Miquel Escudero Diéguez

Visuel 2 : affiche du Grand Mouvement

Xavier Durringer met en scène Joséphine B, au Théâtre de Passy 
Rover “Eiskeller” : un igloo pop folk chaleureux, pastoral et raffiné  ! 
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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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