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“La Leçon d’allemand”, magnifique réflexion sur la tension entre devoir et désobéissance

“La Leçon d’allemand”, magnifique réflexion sur la tension entre devoir et désobéissance

11 January 2022 | PAR Julia Wahl

Sort en salles demain La Leçon d’allemand, du réalisateur allemand Christian Schwochow (Paula, la série Bad Banks…). Une adaptation très juste du terrible et merveilleux roman de Siegfried Lenz, paru en 1968.

Les “joies” du devoir : entre Créon et Antigone

L’argument premier est celui-ci : Siggi – diminutif dont le lecteur et spectateur aura perçu la proximité avec le prénom du romancier – grandit dans le Schleswig-Holstein durant la Seconde Guerre mondiale, entre une mère réservée et un père policier, à l’autorité pour le moins tyrannique. Des accès de maltraitance qui s’inscrivent dans une croyance excessive en la nécessité de se conformer à des “devoirs” édictés par un gouvernement lointain, nommé avec révérence tout au long du film “die Hauptstadt” (“la capitale”). Un éloignement qui rend ridicule l’empressement du père à exécuter des directives qui, en vérité, concernent peu leur lande reculée, plus proche du Danemark que de Berlin.

Car ces devoirs émanant d’une autorité étatique remettent en cause d’autres devoirs, ceux que l’on doit à ses proches : le père incarcère ainsi son ami d’enfance, le peintre Max Ludwig Nansen considéré comme “dégénéré”, et dénonce son propre fils aîné, coupable de désertion, le condamnant de façon certaine au peloton d’exécution. Siggi, moderne Antigone, essaie alors de surnager dans ces eaux troublées par des ordres absurdes et cache dans une maison abandonnée les œuvres du peintre qu’il parvient à subtiliser, constituant avec application un véritable musée.

Un appel à la désobéissance ?

Le film s’interroge ainsi sur le devoir d’obéissance brandi sans cesse par la figure paternelle, le terme de “Pflicht” (“devoir”) revenant sans cesse à sa bouche. Or, le “devoir”, c’est précisément le sujet d’une rédaction que Siggi devenu grand, enfermé dans une maison de correction, se doit d’écrire : “les joies du devoir”. La charge oxymorique du sujet est à l’origine du long flash-back qui égraine les âpres souvenirs d’enfance du jeune homme. Cette structure analeptique, au cœur du livre et du film, nous sensibilise à la dangerosité, aujourd’hui comme hier, d’une application trop zélée d’ordres absurdes ou mortifères. Ce processus de dés-historicisation du thème du devoir apparaît comme un appel permanent à désobéir.

Du paysage comme personnage

Outre cette réflexion de philosophie politique, l’une des gageures de l’adaptation était de parvenir à transmettre les magnifiques descriptions de la beauté mélancolique du Schleswig-Holstein. Force est de le constater : Christian Schwochow y est parfaitement parvenu.

Les très légers contrastes de couleur, les larges cadres sur une mer bleu-gris et un ciel aux coulures de gouache nous invitent, à l’instar de Max Ludwig Nansen, à sortir notre chevalet et aller peindre “sur le motif”. Outre cette beauté formelle, la désolation de ces paysages est à l’image de ce pays reculé, aux confins d’une Allemagne où tout le monde – sauf le père de Siggi – sait qu’elle a déjà perdu la guerre.

La Leçon d’allemand vaut donc à la fois par les questions qu’il pose, son sens très net du cadre et du paysage, mais aussi la force de personnages qui s’entredévorent.

Visuel : La Leçon d’allemand – Georges Pauly

 

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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