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“First cow” superbe fable humaniste et cruelle de Kelly Reichardt

“First cow” superbe fable humaniste et cruelle de Kelly Reichardt

28 October 2021 | PAR Olivia Leboyer
First cow

Célébré le mois dernier au Centre Pompidou, le cinéma de Kelly Reichardt rayonne de force et de délicatesse. Les hommes et la nature y sont filmés avec la même attention, le même souci de fixer une trace (l’inoubliable Old Joy en 2006, le thriller écologiste Night Moves primé à Deauville en 2013, plus récemment les limpides La dernière piste en 2011 ou Certain women en 2017). Ce First cow, d’une grande simplicité, émeut durablement.

L’ouverture du film nous plonge, au sens propre, dans la terre. Une péniche passe sur le fleuve, tandis qu’un chien débusque un os, et sa maîtresse (Alia Shawkat, que l’on aime beaucoup), en creusant, met au jour deux squelettes, figés dans la mort l’un à côté de l’autre, comme surpris dans leur sommeil.

Le plan suivant, une autre péniche passe, et nous voyons le même endroit, rempli de champignons qu’un trappeur ramasse. L’homme prend le temps de remettre sur le ventre une sorte de lézard qui, resté sur le dos, serait mort. Quelques scènes plus tard, ce même homme, Figowitz (John Magaro) va tomber, dans la pénombre, sur un inconnu nu comme un ver et, comme pour l’insecte, il lui sauvera la vie. Surnommé Cookie, Figowitz est cuisinier pour des trappeurs.

Kelly Reichardt filme magnifiquement l’obscurité de la forêt (on pense par instants à l’Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul), capte les bruissements, jusqu’au son d’un champignon qu’on arrache.

Etrange apparition, l’homme est Chinois, venu dans l’Ouest chercher fortune, comme tout un chacun. Un nouveau monde à découvrir, à défricher, le rêve américain. Cookie et King Lu (Orion Lee) se perdent de vue, puis se retrouvent par hasard. Le premier n’avait rien demandé en échange de sa bonne action. King Lu pourrait se sentir quitte mais quelque chose de ténu le pousse à faire équipe avec ce partenaire de fortune.

Les deux hommes sont perdus au milieu de nulle part. Orphelin, Cookie a suivi une formation de pâtissier mais n’a pas reçu d’amour. King Lu, manifestement plus intelligent, veut se faire une place dans une société à construire où, peut-être, il pourrait compter autant qu’un autre.

King Lu a des idées, Cookie du savoir-faire. A eux deux, ils pourraient bâtir une petite entreprise de pâtisserie. Seulement, il faut un point de départ, un capital, qu’ils n’ont pas. Entre alors en scène le personnage du facteur-chef (Toby Jones), bourgeois imbu de sa position, et qui possède une grande demeure, de l’argent et une vache.

A aucun moment Cookie et King Lu ne songent à proposer une association au facteur-chef. Riche, il aurait pu leur faire confiance et leur prêter des fonds pour démarrer, les laissant utiliser le lait de sa vache. Ce n’est pas même envisageable. Ce sont deux univers séparés, deux sphères distinctes.

Alors, naturellement, Cookie et King Lu, nuitamment, s’en vont traire la vache, pour confectionner de succulents beignets, qu’ils vendront au marché. L’engrenage fatal est enclenché. Pour quelques gouttes de lait, deux destins vont être scellés. Nous le savons dès le générique, et notre gorge se serre à mesure que le dénouement se précise.

Un film sublime, où les petits gestes du quotidien (un balai que l’on passe en signe d’amitié, un insecte que l’on remet sur le ventre, un peu de cannelle en supplément sur un beignet) comptent autant que les actions héroïques des westerns d’antan.

First cow de Kelly Reichardt, film américain, 2h02, 2019, avec John Magaro, Orion Lee, Alia Shawkat, Toby Jones, Lily Gladstone, Scott Shepherd. Sortie le 27 octobre 2021.

visuel: affiche officielle du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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