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Eve Deboise “Dans petite leçon d’amour, j’avais envie de créer deux personnages un peu cabossés”

Eve Deboise “Dans petite leçon d’amour, j’avais envie de créer deux personnages un peu cabossés”

09 May 2022 | PAR Lison Rabot

Après un premier film dramatique Paradis perdu, la réalisatrice Eve Deboise revient avec une comédie romantique intitulée Petite leçon d’amour, disponible en salles depuis ce mercredi. Tout part d’une rencontre fortuite entre Julie et Mathieu, deux personnages complètement perdus, égarés dans Paris dont le chemin sera lié à celui d’une adolescente encore plus déboussolée, à sauver avant l’aube (lire notre critique). La réalisatrice Eve Deboise nous parle de son film, de l’art de la comédie et de temporalité. 

Le film se tient dans un Paris d’aujourd’hui, les dialogues sont très modernes et pourtant il y a quelque chose d’atemporel. Comment avez-vous pensé l’esthétique de ce film ? 

Pour ce film, je suis repartie au début de l’écriture d’un court métrage que j’avais imaginé il y a plusieurs années et dans lequel se rencontraient deux personnages complètement déprimés. Je ne sais pas exactement comment est née cette nécessité d’entremêler leur trajet à la figure de la jeune fille qui risque sa vie et qu’il faut sauver avant l’aube. Ce personnage dirige et construit le parcours des deux personnages principaux pour la sauver et en même temps elle permet de révéler ce qu’ils projettent sur elle, leurs propres angoisses, leurs propres mal-être. Comme souvent dans mon travail, j’avais envie de créer des personnages qui puissent être transposables d’une époque à une autre. L’esthétique qui en découle m’amène naturellement à créer un monde qui soit une fantasmagorie et croise plusieurs époques. J’ai voulu ancrer le film dans le monde d’aujourd’hui, quand il dépeint la jeunesse et l’univers des adolescents actuels, mais  je voulais aussi que les deux personnages principaux soient déplacés, qu’ils évoluent dans un univers atemporel. Peut être aussi que le fait de filmer la banlieue et ses décors sans âge et parfois dépeuplés, a pu amener davantage à cette sensation de confusion temporelle. 

Les deux personnages principaux sont un peu “sans lieu”, mais aussi “sans âge” et “sans temps”, comment et pourquoi ?

J’avais envie que ce soient deux personnages qui aient déjà eu le temps de vivre assez d’expériences pour qu’ils soient un peu cabossés et que le souffle leur revienne par des personnages plus jeunes, notamment cette adolescente qu’ils croisent sur la route. Alors qu’elle est aux prises avec ses premiers amours et dans la recherche, c’est à travers elle qu’ils vont revivre leurs premières expériences intensément et très fougueusement, qu’ils vont retrouver une sorte de désir juvénile et la capacité à tomber amoureux. Ce sont deux individus un peu hors du temps qui redécouvrent différentes périodes de la vie, en trainant avec eux leurs heures de vol, ainsi que leurs expériences difficiles, chacun dans des registres très différents. De manière plus générale, les différentes strates d’âges qui nous traversent sont une question qui m’importe, en effet. Je pense que nous sommes faits de couches d’âge. Nous en accumulons plus ou moins selon les expériences que l’on traverse. Il existe des adolescents qui ont l’impression d’avoir 50 ans en fonction de ce qu’ils ont pu vivre. Les personnages principaux sont ici à un âge charnière pour eux, fait de multiples strates d’âge cumulées dans lesquelles ils ont du mal à se retrouver. 

Paris est presque un personnage du film, pourtant les personnages en sortent, quelle est la place que la ville joue dans ce road movie ? 

Je voulais intégrer Paris dans le film. Je suis née dans cette ville, ainsi que la banlieue où je vis aujourd’hui. J’aime son espace de charme parfois un peu désolé, avec ce coté no man’s land de certains décors où pourtant on vit, on habite, on respire, on aime. Dans le film, on retrouve les deux facettes de la capitale, qui, d’un côté promeut un anonymat qui peut être dur, imposant mais aussi très enveloppant car on peut y disparaitre et vivre des choses sans que les autres le sachent. J’avais envie de travailler autour d’une rencontre dans l’univers urbain.

Nous apprenons beaucoup de choses sur les deux personnages principaux au fil du récit, parfois des choses très décalées qui mènent au rire, comment avez-vous travaillé l’écriture ? 

Ce récit part d’une envie de rire en prenant comme point de départ des choses dramatiques, de se laisser aller dans le malaise et l’état d’âme pour déboucher sur des situations très comiques, que l’on construit et reconstruit. Le personnage de Julie a beaucoup de facettes et m’a demandée d’être très vigilante pour que l’on comprenne sa cohérence. Elle se dévoile petit à petit et c’est comme un effeuillage du personnage. Quand on écrit une histoire dramatique, l’attention est portée sur les sous-textes, les silences, tout ce qui doit se capter sans être dit. Ce qui est assez exaltant dans l’écriture d’une comédie, c’est qu’on peut se permettre de jouer avec les mots. Et de faire en sorte que les personnages se livrent complètement et n’en deviennent pas moins complexes, surtout quand ils ont une bonne dose de fantaisie et de capacité d’invention comme le personnage féminin dans l’histoire. 

Comment avez-vous dirigé Laetitia Dosch afin qu’elle dégage cette lumière, cette fraicheur que l’on retrouve dans le personnage de Julie? 

Il fallait trouver le ton juste par rapport à la comédie que je recherchais. Ce qui me plait chez Laetitia c’est cette chose qui par moment la traverse, de force et de poésie piquante. L’enjeu était d’attraper cela, en jouer et parfois canaliser cette énergie, car le projet était très écrit et il fallait que nous restions dans quelque chose de cadencé. Le personnage de Julie nous a demandé beaucoup de travail car elle a beaucoup de différentes facettes et il fallait que, comme le film, elle oscille entre la mélancolie et le rire, qui procure cette dose de bonheur. 

Au début du film, il y a une accusation assez grave, il y a ce doute que par amour une étudiante risque de se suicider pour le personnage principal masculin… Comment l’avez-vous traitée ? 

Le contexte actuel fait que l’on peut changer de regard sur ces questions. Il n’y a pas si longtemps, il y avait des choses que l’on considérait comme naturelles et dont ne mesurait pas la dureté aussi bien qu’aujourd’hui. C’est le cas pour la scène de la confession de Julie, sur ce qu’il lui est arrivé dans le vestiaire d’une fête. J’ai voulu traiter ces moments de vie avec une certaine légèreté, un certain humour, mais en réalité leur présence est fondamentale dans l’histoire. Je ne voulais édulcorer ni les sentiments, ni les situations qui ont mené les personnages à être ce qu’ils sont.

Aviez-vous des références de comédie romantique ou des images en tête pour ce film ? 

Les comédies américaines des années 1930 aux années 1950 sont pour moi des joies toujours renouvelées et ce trajet des personnages dans la ville comme une sorte de petite fugue musicale est définitivement inspirée de ses grands maitres. New-York-Miami (1934) de Frank Capra et Jacques Demy avec ses histoires très stylisées sont des influences très importantes de mon travail.

Quels sont vos projets à venir ?

Il y a deux voies sur lesquelles je travaille en ce moment. Une histoire d’amour atypique et une comédie. J’ai envie d’aller dans ces deux zones, explorer ces deux facettes que j’ai beaucoup aimé dans cette sorte de revisite de la comédie romantique Petit Leçon d’amour. J’aimerais bien y retourner avec un personnage moins hors du temps et davantage ancré dans le monde d’aujourd’hui. 

Visuels :© Tangui Bidou

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Lison Rabot

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