Arts
Travel Plans : le sortilège des anatomies

Travel Plans : le sortilège des anatomies

28 September 2011 | PAR Charlotte Dronier

” Je fais des images pour me souvenir, non pas du motif, mais de mes sentiments et de mes réactions “.

C’est avec ce même engagement intense que celui de Jane Evelyn Atwood, loin de l’objectivité, que Jeffrey Silverthorne nous emmène dans les interstices, entre l’état transitoire et l’ancrage d’une réalité scientifique nous rappelant celle de Rembrandt et sa Leçon d’anatomie du Docteur Tulp (1632). Entre en écho le parfum d’ambigüité de Diane Arbus qu’il connait bien, hantant ses oeuvres comme pour nous faire sentir ce qu’il y a au delà de l’image, même si aucun ne le sait tout à fait.

Première exposition individuelle à la Galerie VU, Travel Plans retrace ainsi quarante années de cet artiste sexagénaire dans une scénographie transversale à la chronologie aléatoire, à l’image de ses photographies au sein desquelles la vie de certains s’arrête brusquement quand celle des autres se prolonge et s’étire dans les prémices de l’acte charnel. Un face à face avec la décrépitude de la morgue, un homme à l’expression figée d’une surprise éternelle, le regard flou résigné par ce sort. Ce même drap immaculé que nous retrouvons sur des lits de femmes nues alanguies ou de transexuels, les pores brillants de maquillage ou naturellement dilatés, l’exhibitionnisme d’un sexe ou d’un muscle saillants.
Puis retour par à-coups au jaune cireux, au sang coagulé, à l’oeil tuméfié d’un visage difforme et grave de nourrisson, les corps ouverts et recousus grossièrement en y où la chair y apparaît pourtant palpitante même si putréfiée. Toujours cette même insoutenable légèreté de l’être dans des noirs et blancs contrastés ou une lumière tamisée, poudrée de couleurs chaudes. Pourtant, regarder la souffrance ou la vie en face, comme un acte psychanalytique et de fascination hypnotique. Il y paraît alors un certaine projection en filigrane comme autant d’autoportraits fréquents qui ponctuent cette exposition.

Déclinée en quatre chapitres, elle trace textuellement le parcours initiatique de Monsieur Lotus, l’alter ego imaginaire de Jeffrey Silverthorne, qui, « face à un monde qu’il considère comme culturellement corrompu et socialement pornographique, est déterminé à rendre les choses magnifiques, en révéler la beauté sous-jacente, la peur et le poids de la mort aussi. » Alors, comme son double, nous comprenons ainsi que l’histoire n’est pas tant forgée par une continuité mais bien plus par une succession de hasards arbitraires. Mais Jeffrey Silverthorne réinvente une nouvelle réalité en introduisant dans la scène véritable des corps étrangers en rupture à travers des photomontages ou bien l’intégration dans le cadrage de sa main tendue portant un cliché aux côtés du cadavre. Cette liberté d’extrapolation résonne comme une philosophie d’existence parce-que « vivre et faire, non sans intuition, sont d’abord des expériences de pensée. » L’appétence de l’étrange, sa traque ou sa recréation habite alors ses nombreuses mises en scènes peuplées de références mythologiques et ésotériques.
Quelques rares peintures aux couleurs vives, une représentation de « son Christ », clown technicolor à la tête comme un ovule encerclé de cheveux-spermatozoïdes, des poils ornant son visage et le regard mortifère de deux trous noirs béants. Un monde fantaisiste et morbide que l’on retrouve dans des photographies de jouets et de poupées aux positions jouissives, lugubres et lubriques.

Au détour de ces Travel Plans, nous entendons alors le rire grinçant du photographe et les pulsations de son coeur devant le chaos. Nous entrevoyons ce rictus de la tête de mort, celui de chacun de nous. Une étrange fêlure cathartique qui vient des entrailles, comme pour désormais, à notre tour, « assumer ses responsabilités et ses souvenirs » devant cette « simultanéité de contradictions. ».

Charlotte Dronier

Crédit photo : Jeffrey Silverthorne -autorisation Galerie VU

 

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Charlotte Dronier
Diplomée d'un Master en Culture et Médias, ses activités professionnelles à Paris ont pour coeur la rédaction, la médiation et la communication. Ses mémoires ayant questionné la critique d'art au sein de la presse actuelle puis le mouvement chorégraphique à l'écran, Charlotte débute une thèse à Montréal à partir de janvier 2016. Elle porte sur l'aura de la présence d'un corps qui danse à l'ère du numérique, avec tous les enjeux intermédiatiques et la promesse d'ubiquité impliqués. Collaboratrice d'artistes en freelance et membre de l'équipe du festival Air d'Islande de 2009 à 2012, elle intègre Toutelaculture.com en 2011. Privilégiant la forme des articles de fond, Charlotte souhaite suggérer des clefs de compréhension aux lecteurs afin qu'ils puissent découvrir ses thèmes et artistes de prédilection au delà de leurs actualités culturelles.

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