Arts
“Qui m’appelle ?” La nouvelle performance hybride de Maguelone Vidal

“Qui m’appelle ?” La nouvelle performance hybride de Maguelone Vidal

17 January 2023 | PAR Eleonore Carbajo

La maison de la musique de Nanterre accueille ce vendredi 13 janvier Maguelone Vidal et… Maguelone Vidal ! Une performance théâtrale et musicale originale qui nous fait réfléchir sur notre propre identité.

Démolir le quatrième mur

Dès l’entrée dans la salle de spectacle, on comprend mieux l’univers vers lequel veut nous mener Maguelone Vidal, réputée pour ses spectacles « hybrides », comme elle les qualifie elle-même. Déjà dans La tentation des pieuvres (spectacle joué depuis 2017), le spectateur assistait à la fusion de la gastronomie et de la musique. Il nous est rappelé à l’entrée de respecter scrupuleusement la place marquée sur notre billet. Ainsi soit-il, chacun prend méticuleusement place sur les chaises numérotées qui se font face. Ici, pas de scène, pas de démarcation entre le public et les performeurs. Le quatrième mur est tombé ; c’est donc dans deux estrades se faisant face que le public découvrira la création de Maguelone Vidal. De plus, sont placés dans le public six chanteurs et chanteuses faisant partie de la pièce, et prenant la parole afin de faire vibrer le public de l’intérieur et de brouiller d’autant plus les frontières entre le créé et le réel. La lumière reste allumée. Le spectateur fait partie de la création. L’hybridité de la performance vise à nous faire réfléchir sur la performativité de nos propres noms et prénoms.

Questionner l’oralité et la performativité de nos noms

Maguelone Vidal et Maguelone Vidal entrent en scène et se présentent successivement. L’une est la metteuse en scène, l’autre est architecte. Les deux sont voisines et les deux s’appellent Maguelone Vidal. Elles jouent en miroir, scrutant le public des yeux. Cette coïncidence est le fil conducteur de la pièce ; de ces deux parcours se dégage une réflexion sur le caractère unique d’une personne, tourné au ridicule par les paroles superposées des deux homonymes, qui nie de fait leur unicité dans un brouhaha révélateur. Le texte de la pièce, écrit par l’autrice Magali Mougel, mêle écriture documentaire issue d’entretiens réalisés avec tous les protagonistes, données sociologiques et écriture poétique. Citant Beckett, les deux femmes prennent le micro pour questionner le public : « Qu’importe qui parle, quelqu’un a dit qu’importe qui parle ». Ce leitmotiv issu des Nouvelles et Textes pour rien écrit dans les années 1950 par Samuel Beckett revient tout au long de la pièce. Maguelone Vidal reprend aussi à son propre compte les théories mallarméennes portant sur la performativité des mots, et sur la capacité du signifiant de chacun d’eux à être l’essence du signifié ; en deux mots, la capacité de la sonorité des mots à coller avec le sens qui s’en détache. Oscillant entre poésie et prosaïsme, le décor de la performance qui nous est donnée à voir est planté.

Nom et prénom : « notre musique fondamentale »

Dispatchés aux quatre coins du public, six artistes vocalistes sont assis parmi nous ; du soprano à la basse en passant par une beatboxeuse. Ils citent chacun leur tour les noms et prénoms de leurs quatre voisins, dans la surprise générale. Une flopée de réflexions s’en suit, sur le nom comme marqueur d’un exil, d’une migration, d’un héritage, d’un mariage, ou le nom d’emprunt comme moyen d’exprimer une singularité, une identité artistique. On peut saluer la performance de Flor Paichard – contre-ténor – qui se met à nu.e de manière émouvante et témoigne – toujours sur un texte de Magali Mougel – de son parcours et combat pour adopter et faire adopter un prénom mixte en accord avec sa non-binarité. L’émotion s’empare du public quand tous chuchotent la complexité de « bannir son nom », de « détruire ce qui fait que je suis moi », de « renoncer à un héritage », en renonçant à son propre nom.

La metteuse en scène et compositrice, assise, dirige ce chœur : tous les prénoms de la salle sont ensuite chuchotés, murmurés, scandés, parlés, criés ou chantés par les artistes dans une composition qui rappelle tantôt l’écriture des oratorios, les nouvelles écritures du sonore ou la musique électronique. Dans un entretien recueilli par Guillaume Gesret, la compositrice et metteuse en scène, explique que « La musique de notre nom nous convoque toute notre vie. C’est notre musique fondamentale ». L’effet est réussi ; l’ambiance varie d’une minute à l’autre, donnant tantôt à entendre un rythme effréné mêlant certains prénoms de la salle, et tantôt une atmosphère plus calme et lyrique. Des douches de lumières se posent sur les chanteurs qui font vibrer la salle de leurs timbres très complémentaires.

Les chanteurs et chanteuses quittent leur place pour un final électrisant, chanté au rythme du beatbox dans un jeu de lumière qui met tout le monde d’accord. Ils sont ensuite rejoints par les deux Maguelone Vidal qui lâchent elles aussi prise et dansent au rythme de la musique des prénoms de la salle qui se mêlent et se démêlent poétiquement. Un spectacle innovant qui nous fait donc réfléchir sur notre propre identité ; à mi-chemin entre théâtre et musique Maguelone Vidal a bien tenu son pari d’en revenir à « notre musique première » par le biais de nos noms et prénoms.

Visuel © Marc Ginot

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Eleonore Carbajo

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