Cinema
Kinuyo Tanaka cinéaste 1/2 : Lettre d’amour

Kinuyo Tanaka cinéaste 1/2 : Lettre d’amour

17 January 2023 | PAR Nicole Gabriel

Carlotta sort un splendide coffret de six films jusqu’ici inédits en France de l’actrice et réalisatrice japonaise Kinuyo Tanaka (1909-1977). Star incontestée du cinéma nippon qui commença sa carrière adolescente, elle apparaît dans plus de 250 longs métrages, certains mis en scène par le plus grands. « Tanaka ne peut pas diriger un film parce qu’elle n’a pas de cervelle », tels étaient les propos acerbes, ouvertement misogynes, de Kenji Mizoguchi. Ce jugement est contredit à la vision des six bandes qui viennent d’être éditées.  Nous y découvrons le regard d’une artiste sur le Japon vaincu.

Une star devant et derrière la caméra

Les œuvres en question, réalisées par Tanaka entre 1953 et 1962, ne l’ont pas empêchée de poursuivre sa carrière de comédienne. Pour apprendre le métier de cinéaste, elle avait modestement demandé à Mikio Naruse de l’engager comme simple assistante pour le film Frère aîné, sœur cadette (1953). Les quatre premiers opus de Kinuyo Tanaka sont en noir et blanc ; les deux derniers, des superproductions, sont en couleur et en cinémascope. Tous font la part belle aux personnages féminins. Nous avons plus particulièrement été sensible à deux films : Lettre d’amour (1953) et Maternité éternelle (1955).

Son passage derrière la caméra s’explique par l’accueil de la comédienne à son retour des États-Unis et la campagne de presse qui se déchaîna contre elle. Partie en kimono, après avoir été reçue par le tout Hollywood, elle était revenue au pays « maxfactorisée », perchée sur de talons hauts, portant beau un manteau de fourrure, adressant des baisers à la foule. Ce comportement fut pris pour une trahison. La comédienne subit un tel lynchage médiatique qu’elle tomba dans une profonde dépression. À cela s’ajoutait aussi la question de l’âge : à 43 ans, elle n’était plus crédible (selon les mauvaises langues) pour être courtisée les jeunes premiers. Tanaka comprend alors ce que la modernisation du Japon sous tutelle américaine peut apporter aux femmes : « Maintenant qu’il y a également des femmes élues au parlement japonais, j’ai pensé que ce serait une bonne chose qu’il y ait aussi au moins une femme réalisatrice. »

Castration symbolique

Lettre d’amour est dans le hic et nunc, l’air du temps, le néoréalisme. L’histoire se déroule à Tokyo, la guerre étant finie, mais depuis peu. Les affaires ont assez vite repris ; le trafic automobile est des plus denses ; les gares, noires de monde ; les cafés, pleins à craquer. L’occupation yankee est évidente : Vogue et Look sont sur les présentoirs. Les soldats américains déambulent dans les parcs. Dans les ruelles du vieux Tokyo, une femme fait sa lessive, son bébé sur le dos ; une autre tient une échoppe où elle vend des brochettes. Ces prises en extérieur font la vitalité de la première partie du film. On s’active, on vend et on en revend. Les scènes, courtes et rythmées, sont prises sur le vif.

Puis vient l’histoire, celle des retrouvailles de deux frères séparés par le conflit. Tandis que l’un, Hiroshi, participe à l’effervescence générale, l’autre, Reikichi, est en proie à la mélancolie. Confiné chez son cadet, il assure le ménage, l’entretien de la maison et la cuisine, par crainte d’être un fardeau. Dès lors, il joue le rôle de la femme au foyer. Il avoue être en quête de son amour d’enfance. Entre en scène Nauto, un écrivain public qui lui propose de l’aider à traduire la correspondance entre GI’s et Pan-Pan Girls. Celles-ci marchandent leur corps, irrésistibles, vêtues à l’occidentale, outrageusement maquillées.Elles se chamaillent et grimacent comme des enfants. Nauto les traite comme tels, mais non Reikichi, qui les exhorte à changer de vie. Sa discussion avec une prostituée vieillissante jouée par Tanaka est un morceau d’anthologie. Le film vire au mélo quand le protagoniste découvre que son grand amour fait partie de ce gynécée…

Visuel : Masayuki Mori dans Lettre d’amour, photo : Carlotta films.

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Nicole Gabriel

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