
Orsay : Manet inventeur du Moderne, fausses pistes et superbes toiles
Près de 30 ans après la mémorable rétrospective imaginée par Françoise Cachin et Charles S. Moffet, Stéphane Guégan propose une exposition-fleuve sur Edouard Manet au Musée d’Orsay. Sous-titré “l’inventeur du moderne”, cet évènement tente de montrer combien Manet était à la fois engagé et en avance sur son temps. L’organisation bâtarde entre thématique et chronologie, les textes gratuitement provocateurs et le manque de repères historiques, rendent la démonstration caduque. Il n’en demeure pas moins que “Manet, inventeur du Moderne” réunit des toiles exceptionnelles du peintre pour former ce qu’on pourrait cavalièrement appeler “une somme de hits” de Manet.
Ce que “Manet, inventeur du moderne” voudrait prouver, c’est qu’au-delà du scandale de certaines toiles qui sont restées dans les esprits, le peintre était terriblement en avance sur son temps. Tout part de la toile de Fantin-Latour “Hommage à Delacroix” (1864) où Manet apparaît encadré par les écrivains Champfleury et Baudelaire, représentant respectivement le réalisme et le romantisme.

La première partie de l’exposition voudrait nous faire croire que Manet était tellement avant-gardiste qu’il était très à l’aise dans l’atelier extrêmement classique du peintre Thomas Couture (dont on découvre par ailleurs plusieurs superbes toiles). Ensuite, c’est l’amitié avec Charles Baudelaire qui est vantée. Néanmoins, la rencontre survient en 1960, soit 3 ans après le procès des Fleurs du mal… Il est donc bien difficile de montrer que c’est bien de Manet que Baudelaire voulait parler quand il parlait du “Peintre de la vie moderne”. Tant et si bien que les dessins que Baudelaire fait de lui-même sont plus saisissants que les portraits que Manet a pu faire du poète… L’on est néanmoins ravis de voir “La maîtresse de Baudelaire” par Manet pour visualiser les traits de la fameuse Jeanne Duval. Même si le visiteur ne comprend pas très bien la synesthésie qu’il pourrait y avoir entre ce portrait “bourgeois” et les deux “tubes” accrochés dans le voisinnage que sont le “Déjeuner sur l’herbe” et “Olympia”.

Si d’un point de vue esthétique, l’expo s’avère incapable de montrer quels ont été les liens de Manet avec l’impressionnisme et pourquoi cette grande figure “Moderne” s’est tenue à l’écart de la première exposition du groupe en 1874 (section “impressionnisme piégé” (!)), c’est tout particulièrement d’un point de vue politique que “Manet l’inventeur du Moderne” peine à nous prouver son caractère progressiste. Certes, Manet avait de la sympathie pour la IIe République, certes, il semblerait qu’il n’ait pas entièrement porté Napoléon III dans son cœur. Mais jamais la grandiose “‘Exécution de Maximilien” (1868) n’est expliquée en ce sens. Et pour ce qui est de la Troisième République, c’est l’année 1879 qui est présentée comme un “tournant”. Or en 1879, Jules Grévy est déjà président, et les fameuses lois constitutionnelles qui ont affermi l’existence de la République ont… 4 ans! Rien de très brave, “moderne” ou courageux, à rejoindre la République dans ces conditions. Notamment pour un Manet qui a été dans la garde Républicaine et n’est pas revenu à Paris avant la fin de la “Semaine sanglante”…. Il a quand même immortalisé quelques belles barricades après la Commune, et elles valent le coup d’œil.Ainsi, dans la section, “la fin de l’Histoire”, les portraits pompiers de figures politiques des années 1880 (dont Clemenceau jeune!) ou de scènes appartenant à l’héroïsme déjà mythique et reconstruit de la Commune (l’emprisonnement et l’évasion d’Henri Rochefort, républicain “intransigeant” se rapprochant déjà dangereusement de l’extrême droite boulangiste quand Manet vante sa légende), ne sont rien d’autre, il faut bien le dire que de l’Art Académique, aussi grand soit-il.

Qu’apporte donc cette exposition “Manet, inventeur du moderne”? Bien sûr un rassemblement rare de très belles toiles venues du monde entier, notamment l’art religieux et inspiré du peintre conservé au Met de NYC ou à l’Art Institute de Chicago et que l’on voit rarement en France. Et paradoxalement, l’on retient surtout l’idée que, grand voyageur ( Brésil, Hollande, Italie, Espagne …), Manet a eu le génie de copier quasi-littéralement des grands maîtres comme Turner, Goya ou Zurbaran, quitte à succomber parfois à certains orientalismes bien de son temps, comme la fascination pour une Espagne aux yeux de charbon et aux gitans pouilleux, qu’on retrouve chez ses contemporains à la fois les plus “classiques” et les plus modernes, comme Maurice Barrès et Georges Bizet.
Ne manquez pas la soirée Manet-Baudelaire le mardi 10 mai 2011 de 18h30 à 22h.
Visuels :
1) Home : Le déjeuner sur l’Herbe, 1863,, Musée d’Orsay, dist RMN. / Patrice Schmidt
2) Affiche : Amazone/ L’été, 1882, Museo THyssezn-Bornemyza, Madrid
3) Grand Format : L’exécution de Maximilien, 1867, Muséeum of Fine Rtas, Boston