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L’Objet Afrique à Confluences

L’Objet Afrique à Confluences

09 June 2023 | PAR Nicolas Villodre

Jusqu’au 18 février 2024, année où l’on célébrera le centenaire du Surréalisme, se tient au musée des Confluences de Lyon une magnifique exposition intitulée Afrique, mille vies d’objets, qui met en lumière et en valeur la collection d’Ewa et Yves Develon, elle-même “objet” d’une donation en 2018.

Harmonie du monde

Hélène Lafont-Couturier, la directrice du musée, ses commissaires, Carole Millon et Marie Perrier et la scénographe, Marion Lyonnais, ont voulu souligner “la pluralité des provenances, la variété des matériaux utilisés (bois, ivoire, métal, perles, pigments naturels, fibres végétales…), le talent des sculpteurs, forgerons, céramistes ou bronziers, la destination et l’usage de ces masques, statuettes, parures et objets usuels [qui] nous invitent à voyager à travers siècles et espaces”. Le but de cette sixième monstration consacrée à l’Afrique, composée de 230 pièces, est d’initier les visiteurs aux arts du continent africain pour “peut-être changer leur regard, qu’ils soient simples curieux ou connaisseurs des cultures d’Afrique”. Comme il se doit aujourd’hui, compte a été tenu dans la mise en place de l’absolu environnemental, l’agencement ayant été “éco-conçu”, à base d’éléments organiques, modulables, modifiables.

Le corpus est essentiellement constitué d’objets d’Afrique de l’ouest, quelques-uns seulement provenant de l’est. Les aspects cultuels, rituels, sociétaux l’emportent sur la préoccupation esthétique. D’autant que les artistes ou artisans – graveurs, tisserands, peintres, fondeurs, etc. – ayant façonné ces objets sont restés anonymes, à une exception près, celle du sculpteur nigérian des années 1960-70, Lenke, auteur de 150 masques, parmi lesquels celui, remarquable, féminin ou sukuru, tout en verticalité. Un Giorgio Vasari africain aurait sans doute apporté gloire à ces nombreux créateurs au risque de dénaturer l’esprit d’une activité de commande pour ne pas dire de pure utilité. N’est donc pas traité ici l’art africain dans ses influences sur les avant-gardes européennes des années dix – on pense aux poèmes “nègres” d’un Tzara et à la “nouvelle vision” cubiste de Picasso et Braque. 

S’émerveiller, s’émouvoir, s’interroger

Dans un entretien d’Hélène Lafont-Couturier avec les donateurs, Yves Develon déclare : “Les gens portent des jugements, disent : « C’est beau, ce n’est pas beau. » Ils le répètent sans cesse quand ils visitent un musée. Il faudrait en fait qu’ils se demandent d’où provient le regard qu’ils portent. Il y a leur regard et, en même temps, le regard qui provient de l’artiste (…). Ici, la collection enrichit le musée et le musée enrichit la collection.” Bien entendu, les objets, sortis de leur contexte, devenus œuvres à contempler, que ce soit dans des collections, des galeries ou des musées, changent de nature. À la question d’usage s’ajoute celle de l’usure – de leur patine ou altération, par la lumière, le temps, les intempéries. C’est le cas de certains masques, originellement ornés de couleurs, d’ajouts délicats ou autres supports fragiles comme le tissu ou le raphia. 

Les commissaires distinguent objets d’intention, de communication (avec les entités divines), d’inspiration, d’usage, de mascarade, de prestige, de collection, d’étude (facilitée ou exigée par leur patrimonialisation ou muséification). Le musée donne à voir ce qui était dans son jus, dispersé, caché, plus ou moins bien acquis. En tenant compte, de nos jours, des exigences en matière de restauration, de protection d’espèces animales et de déontologie – cf. le commerce et  le trafic de l’ivoire, la restitution des œuvres ayant fait l’objet de pillages. Les représentations exposées à Confluences sont de trois types : animales, humaines ou hybrides – cette dernière catégorie relève du surnaturel et rompt avec l’imitation, comme le prouve le masque mangam figurant une antilope, avec ses cornes distribuées en enfilade et non en symétrie bilatérale. Cette défiguration atteint l’abstraction, comme si celle-ci était le propre de l’art décoratif, ce que montre le grand pagne dida en raphia savamment tressé, aux teintes chaudes, végétales et minérales.

Visuel : Masque cimier mangam figurant une antilope © musée des Confluences, ph. Pierre-Olivier Deschamps/Agence Vu.

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