Arts
L’Esprit nomade de Jacques Léonard

L’Esprit nomade de Jacques Léonard

07 July 2023 | PAR Nicolas Villodre

Deux expos photographiques pour le prix d’une : en sus de celle sur les portraits, le musée Réattu d’Arles propose, jusqu’au 1er octobre 2023, une rétrospective de l’œuvre de Jacques Saint-Léonard, dit Jacques Léonard (1909-1994), qui a consacré une partie de son travail aux Gitans barcelonais de la plage du Somorrostro et de la colline de Montjuic. 

Assistant chez Gaumont à l’époque de Feuillade

Jacques Léonard collabore comme technicien, monteur et assistant-réalisateur à plusieurs productions de la Gaumont : au premier documentaire sonore sur la culture basque, Au pays des Basques (1930) de Jean Faugère et Maurice Champreux (beau-fils de Louis Feuillade et père du comédien Jacques Champreux); à Tarass Boulba (1936) d’Alexis Granowsky, avec Harry Baur, Jean-Pierre Aumont, Danielle Darrieux, Fernand Ledoux, Pauline Carton, Noël Roquevert; au J’accuse (1938) d’Abel Gance, avec Victor Francen, Jean-Max, Jean-Louis Barrault; à Louise (1939) de Gance, avec Georges Thill, Grace Moore, Robert Le Vigan, Ginette Leclerc; à Paradis perdu (1940) également de Gance, avec Fernand Gravey, Elvire Popesco, Micheline Presle et les Bluebell Girls.

Envoyé en Espagne en 1940 par Abel Gance pour y faire les repérages d’un long métrage sur Christophe Colomb (projet qui n’aboutira pas), sans doute en raison de sa séparation d’avec sa première femme et de l’ambiance d’une France occupée par l’armée allemande, Jacques Léonard décide de se fixer dans la péninsule ibérique. Il sympathise avec Manuel Garcia Viñolas, responsable du Département national de la cinématographie (l’équivalent du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique créé en France par Vichy, qui deviendra le CNC en 1946), co-fondateur du No-Do (des actualités cinématographiques officielles du régime, sous Franco), qui lui propose de travailler pour la maison de production Ulargui Films. Il reprend sa fonction de monteur sur le long métrage portugais Ala-Arriba ! (1942) de José Leitão de Barros co-produit par la firme allemande la Tobis. Et passe, en 1943, du cinéma à la photographie.

Photojournalisme

L’Espagne étant restée neutre, diplomatiquement s’entend, durant la 2e Guerre, nombre de Français ont pu traverser les Pyrénées pour se rendre, via Malaga, en Afrique du nord ou, via Lisbonne, aux Amériques. Un des premiers reportages de Léonard est précisément consacré aux “Évadés”; il est daté de décembre 1943. Un autre, après la mort de Staline, traitera du retour en Catalogne de soldats franquistes de la División Azul mais également d’ex-prisonniers “rouges” non orthodoxes, des trotskistes et des anarchistes. Du photo-reportage de (temps de) guerre, Léonard passe sans transition ou presque à celui de l’illustration de magazines grâce à des appareils photo avec des objectifs de meilleure qualité exhibés sous vitrine (un Fujica GL690, un 24 x 36 Nikon et un Rolleiflex) dont il tire le meilleur parti. Le technicien se mue en véritable artiste. Secrétaire et factotum du ventriloque Robert Lamouret, il produit en 6 x 6 des images glamour de ce dernier posant avec sa jolie femme, la contorsionniste Vicki Ross.

En 1952, Léonard tombe sous le charme de la gitane Rosario Amaya, une cousine, dit-on, de la plus grande danseuse de flamenco du siècle passé, Carmen Amaya, avec laquelle elle a, effectivement, un air de famille. Extrêmement photogénique, Rosario était alors l’un des modèles en vogue des artistes peintres. Considéré comme payo, c.à.d. gadjo (alors que, par son père maquignon, métier souvent exercé par des nomades, il pense lui aussi avoir des origines gitanes), le photographe parvient à être admis par le clan et à épouser la belle. Mieux encore : par son immersion, il produit une œuvre inestimable sur les gitans de Montjuic et de Somorrostro, divers clans confondus. Là où furent tournées les scènes mémorables du film Los Tarantos (1963) de Francisco Rovira Beleta avec Antonio Gades et Carmen Amaya – laquelle décéda avant la sortie du film. Témoignage historique avant le déménagement des tribus vers les cités HLM dans les années 70. Avant le rasage de Somorrostro pour les J.O. de Barcelone de 92.

Visuel : Gitane. Godó Trias, usine de fils et de tissus. L’Hospitalet de Llobregat. Barcelone, 1959 © Jacques Léonard. Archives Famille Jacques Léonard/Photographic Social Vision.

 

 

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