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Gainsbourg à Beaubourg

Gainsbourg à Beaubourg

07 February 2023 | PAR Nicolas Villodre

Épatante exposition que celle que la Bibliothèque publique d’information (BPI pour les intimes) du Centre Pompidou consacre jusqu’au 8 mai 2023 au pianiste, chanteur, auteur, compositeur, etc. Serge Gainsbourg, qui a pour sous-titre Le Mot exact.

Écriture musicale

L’écriture, tout d’abord : la littérature et la poésie qui, comme le rappellent les commissaires d’exposition (Monika Prochniewicz, Caroline Raynaud, Anatole Maggiar et Sébastien Merlet),  ont été pour Gainsbourg “sources d’inspiration de nombreuses chansons”. Deux murs entiers sont occupés par des ouvrages provenant de sa bibliothèque personnelle, qui prouvent son éclectisme et son goût pour “la haute culture qu’il oppose à la chanson” considérée par lui comme “art mineur”. Gainsbourg aurait aimé être un “artiste”, autrement dit un peintre – mais le nom était déjà pris par un autre, prénommé Thomas, portraitiste et paysagiste britannique majeur du 18e siècle.

Après des cours de peinture et de musique, il gagne sa vie comme pianiste, à l’instar de son père, avant de percer avec… “Le Poinçonneur des Lilas” (1958), chanson de variété “réaliste”, au sens de Fréhel – qu’il croise dans le 9e arrondissement. Par la voix, ample et grave, et le physique, il fait  songer à Philippe Clay et à Boris Vian. En plus de 30 ans de carrière, il passe du jazz à la java (ou plutôt à la javanaise), de l’afro-cubain à la canzonette sucrée (cf. “Les Sucettes” de France Gall en 1966), alterne pop et rock, répertoire “rive gauche” et emprunts classiques. Il produit de remarquables orchestrations (cf. celle, avec Jean-Claude Vannier, de Melody Nelson que Jean-Christophe Averty adaptera pour la télé). Sa voix mue à l’envers et, telle celle de ses interprètes, B.B., Birkin, Adjani, Charlotte… passe de cri à chuchotement, murmure, susurrement. Malgré son audacieuse Marseillaise, sa “période” reggae paraît plaquée – le mot “rasta”, se référant surtout au Jésus-Christ rastaquouère (1920) de Francis Picabia.

Plume sergent major

La scénographie d’Aude Weinich (de l’Agence NC) ménage la chèvre et le chou (dont Gainsbourg pensait avoir la tête), la littérature noble avec Adolphe (1816) de Benjamin Constant (une surprise), Les Illuminations (1886) de Rimbaud, la série noire avec La Reine des pommes (1958) de Chester Himes, l’underground, avec Hollywood Babylone (1959) de Kenneth Anger et les unes de journaux, d’albums de BD comme le Tarzan (1936) de Burne Hogarth et les ouvrages de photos illustrés par Marilyn ou Bardot. Les archives de l’INA sont discrètement diffusées dans les recoins des deux salles. La chanson “Variations sur Marilou” passe en sourdine.

Le va-et-vient entre l’écrit et l’oral est d’emblée signifié par une encombrante machine à écrire électrique IBM au piètre design et au clavier Azerty d’où dépasse une feuille tapuscrite avec deux vers de “Je t’aime moi non plus” répétés ad lib. en différentes polices de caractère. Aux nombreux manuscrits, pour la plupart à l’encre noire, prêtés par Charlotte Gainsbourg, annotés par l’auteur, biffés, raturés, griffonnés par lui, beaux en tant que tels – le signifiant l’emportant sur le lisible -, avec des lettres privées d’accentuations pour couler de source et des jambages démesurés n’appartenant qu’à lui, s’ajoutent certains outils du graphomane. En l’occurrence, le stylo-plume Waterman Safety Pen patiné que lui offrit Jane Birkin – lui-même étant habitué au Parker, référence obligée à Charlie, à Bonnie ou au Colonel du même nom? Et les stylets d’écolier munis de plumes sergent major…

Visuel : Serge Gainsbourg dans son bureau rue de Verneuil en 1979 © Christian Simonpiétri/Sygma via Getty Images (photo recadrée).

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