Expos

Pierre Bonnard, une fascination pour les couleurs de la lumière

04 November 2021 | PAR Laetitia Larralde

En partenariat avec le musée d’Orsay, le musée de Grenoble propose d’illuminer notre hiver avec une rétrospective du peintre Pierre Bonnard, au fil de la couleur.

 

Le musée de Grenoble rend hommage à un enfant du pays. Pierre Bonnard, qui a passé de nombreux étés dans la maison de famille de Grand-Lemps, a vu très tôt ses œuvres intégrer les collections du musée de Grenoble, où il venait régulièrement y retoucher ses toiles, directement sur la cimaise. C’est donc tout naturellement que l’exposition s’ouvre sur l’évocation de ces moments de félicité passés au milieu des enfants de sa sœur, en pleine nature.

Le parcours de l’exposition regroupe plus de 120 œuvres de Pierre Bonnard, entre peintures, dessins et photographies. Il est pensé à la fois de façon chronologique et thématique, mettant en exergue les grands sujets qui ont traversé la carrière de l’artiste tels que le nu, les scènes d’intérieur domestiques, le miroir, la nature, le Midi ou encore la vie parisienne. Et pour relier le tout, les commissaires nous invitent à nous pencher sur les variations infinies des couleurs de la lumière dans ses œuvres, intimement liées à son lieu de vie, entre le gris bleuté de Montmartre, les nuances liquides de la Normandie ou la douceur dorée du Midi. Nous voici donc emportés par une visite à plusieurs niveaux de lecture superposés, moins simple qu’il n’y paraît, comme un tableau de Bonnard.

Car l’œuvre de Pierre Bonnard, si l’on peut la considérer uniquement sous son aspect décoratif, recèle des points d’entrée multiples. Plutôt que de choisir, le peintre cumule et associe, rendant la complexité d’un monde sans cesse changeant. C’est en effet un artiste qui préfère créer sa propre voie entre deux routes opposées, ambivalence que l’on retrouve dans son œuvre sous différentes formes. Suspendu entre deux siècles et deux générations, il a su faire la synthèse entre académisme et modernité, n’étant ni l’un ni l’autre et les deux à la fois. Ses toiles restent figuratives, toujours un pied sur terre, mais sa recherche constante sur la lumière et ses couleurs les tirent souvent vers l’abstraction. On remarque également ses compositions où l’on est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, ou ses scènes d’intimité domestique partagées entre ombre et lumière.

Découvrir une œuvre de Bonnard demande du temps et une certaine concentration dans le regard. L’artiste lui-même avait un processus créatif qui s’installait sur la durée : il laissait le temps à sa mémoire de trier et recomposer les scènes dessinées sur l’instant, et certaines toiles pouvaient lui prendre plusieurs années à réaliser. Appréhender une toile se fait comme rentrer dans une pièce inconnue, où l’on voit tout et rien à la fois. Des masses colorées se détachent petit à petit les détails, les formes se précisent, sortent de l’ombre, et là où l’on ne voyait qu’un motif apparaît un personnage. Le motif est comme mouvant et se construit sous nos yeux.

Un autre angle d’approche de Bonnard est celui du Japon. Surnommé le “nabi japonard” à ses débuts, l’influence de l’art de l’estampe japonaise est profondément ancrée dans ses œuvres, tant sur le fond que sur la forme. Ses compositions et ses cadrages décentrent et morcellent ce qui est habituellement considéré comme le sujet principal, et quand il représente plusieurs plans différents, la perspective est aplatie, quand ce n’est pas complètement ignorée. On peut également rapprocher l’utilisation de grands aplats de couleurs vives, même si la matière de Bonnard est souvent très présente et variée quand celle des estampes est lisse.

Mais c’est également dans la conception de la vie que Bonnard montre sa proximité avec le Japon. Le terme d’ukiyo-e, images du monde flottant, fait écho à la fugacité des choses si profondément ancrée chez Bonnard, qui sous-tend une certaine mélancolie sous l’apparence très joyeuse et décorative de son art. Enfin la façon dont les personnages se fondent dans leur environnement montre une idée très japonaise que l’homme n’est qu’un élément de la nature et non son maître, comme on le conçoit en Europe.

D’une grande richesse, cette rétrospective de l’œuvre de Pierre Bonnard placée sous le signe de la lumière et de ses couleurs nous transporte dans les paysages rêvés d’un peintre qui n’a pas eu peur d’affirmer sa singularité. Pour revenir doucement à la réalité, les photos de Bernard Plossu faites en 2020 de la maison de Bonnard au Cannet clôturent l’exposition et réhabituent nos yeux à une densité de lumière et de couleur plus mesurée, nous laissant redescendre doucement de cette bulle pétillante de temps suspendu.

Bonnard – les couleurs de la lumière
Du 30 octobre 2021 au 30 janvier 2022
Musée de Grenoble

Visuels : 1- Affiche de l’exposition / 2- Pierre Bonnard, Nu dans le bain, 1936. Huile sur toile. Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris – Photo © RMN-Grand Palais – Agence Bulloz / 3- Pierre Bonnard, Paysage normand, 1920. Huile sur toile. Musée Unterlinden, Colmar © Christian Kempf / 4- Pierre Bonnard, L’Atelier au mimosa, 1939-1946. Huile sur toile. Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais – Bertrand Prévost / 5- Pierre Bonnard, Intérieur blanc, 1932. Huile sur toile. Grenoble, Musée de Grenoble – Photo Ville de Grenoble – musée de Grenoble – J.-L. Lacroix

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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