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[Naples] Le remarquable parcours d’Amelio, pionnier des arts contemporains au Madre

[Naples] Le remarquable parcours d’Amelio, pionnier des arts contemporains au Madre

06 December 2014 | PAR Franck Jacquet

Naples ne semble certainement pas être le meilleur endroit pour l’art contemporain. Le Madre, sorte de petit cousin local du Palais de Tokyo, étonne non seulement par ses collections mais aussi avec une très complète rétrospective consacrée à un animateur essentiel de l’art de la seconde moitié du XXe siècle dans la péninsule italienne et au-delà, Lucio Amelio. Une très belle surprise.
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Un parcours dédié aux révolutions de l’art contemporain
L’exposition temporaire occupe le troisième étage de l’institution mais se développe sur une vingtaine de salles bien remplies. Le parcours de l’exposition est peu ou prou chronologique, Amelio créant sa galerie dans les années 1960 alors qu’il suivait déjà les travaux de nombre d’artistes. Sa fondation personnelle va très vite lui donner une place importante dans l’univers de la création de la seconde moitié du XXe siècle, à la fois en Italie mais aussi bien au-delà. Jusque dans les années 1980 il semble accompagner plusieurs des grands mouvements touchant l’art contemporain.
Il expose donc successivement les plus emblématiques créateurs et semble ne manquer que bien peu de protagonistes, ne s’épargnant pas pour cela nombre de voyages, en Italie du Nord mais aussi dans toute l’Europe et au-delà. Assez logiquement la première grande étape est celle de l’arte povera, si dominant en Italie à la fin des années 1960. Fontana est déjà présent mais aussi Kounellis alors que Lucinao Fabro déjà prolonge et dépasse cette veine. Les années 1970 sont aussi l’occasion de ce retour sans critique frontale au référent antique, véritable antienne dans l’art italien. Amelio fait beaucoup pour la réputation de groupes cherchant à fédérer sur leurs souhaits esthétiques dans cette même décennie (Groupe XX…). Il est intéressant de voir qu’à terme, dans les années 1970 et 1980, la réputation d’Amelio (ses ressources aussi…) est telle qu’il peut accueillir des jeunes pousses étrangères ou des internationaux confirmés comme Buren, Byars, Rauschenberg, Richter voir le totem Warhol… Il est bien intégré aux circuits internationaux, notamment à La Dokumenta de Kassel. Viennent ensuite naturellement s’exposer les avant-gardes menées par Paladino, de Maria, Buren mais aussi incarnées par Fluxus et bien d’autres. L’intérêt peut être pour nous de percevoir les échos de  ces ruptures et débats esthétiques dans le cadre de la production italienne, peu connue par certains de ses aspects en France…
Au total l’étendue des matériaux convoqués, des modes d’expression et la période temporelle couverte par l’activité d’Amelio, avec des œuvres créées entre la fin des années 1950 et la fin des années 1980, ne peut qu’impressionner le visiteur. D’ailleurs tout dans les projets d’Amelio ne finit pas avec la constitution au début des années 1980 de la collection Terrae Motus, quasi césure finale pour l’exposition.

Amelio l’effacé ?
Mais quelle est la part d’intérêt de cette personne ? Il est toujours difficile de restituer la part du génie, le rôle d’une personnalité ou la place du réseau dans une exposition qui a pour objet de retracer non pas le parcours d’un artiste mais celui d’un galeriste ou d’un collectionneur… On le voit bien, le pari étant aussi réussi, au musée du Luxembourg avec l’exposition consacrée à Paul Durand-Ruel (voir notre critique). Les solutions pour faire émerger le personnage derrière son travail de collecte et de présentation sinon de promotion sont assez simples. Pour éviter de faire une simple rétrospective de ce qui a été exposé dans la galerie de notre héros, les concepteurs de l’exposition ont eu l’intelligence d’adjoindre aux peintures, installations, vidéos et autres œuvres une documentation restituant quelque peu le personnage. Lettres, relevés de travaux, études, correspondances avec les artistes sont présents dans plusieurs salles et permettent de rappeler un peu qui il fut, même si le parti est clairement pris de laisser de côté ce qui ne relevait pas directement du domaine de l’art dans la vie d’Amelio. Les échanges avec Gilbert & George en sont un bon témoignage.
Car ses succès ne sont pas dus au hasard et il faut bien comprendre que comme les importants acteurs du monde de l’art contemporain avant le tournant des années 1980-1990, il est aussi un animateur de cette sphère esthétique ; il entretient directement, de visu ou à distance de véritables et riches dialogues avec les artistes et groupes exposés, participant aux débats qu’ils conduisent : ainsi lorsqu’il s’agit de l’arte povera, Kounellis est en contact étroit avec Amelio. Parfois, la réflexion et le dialogue ne se font qu’avec une distance obligatoire, ainasi lorsque Amelio cherche à réfléchir sur sa pratique en reprenant Ingres à son compte. Beuys sera d’ailleurs l’une des plus grandes figures à interagir fréquemment avec Amelio.

Le très riche Madre
Ajoutons que le Madre compte aussi pour ses collections permanentes. On connaît le MAXXI au Nord de l’Italie. Le Musée d’art contemporain de Naples, adossé à la Fondation pour l’art contemporain Donna Regina, est une sacrée bonne surprise. Le bâtiment, dans un incroyablement bon état pour la ville, déploie ses collections permanentes et temporaires sur quatre niveaux dont deux sont consacrés entièrement à des collections permanentes assez riches. Certaines salles qu’on qualifiera d’immersives sont conçues par des grands noms du star-system de l’art contemporain. A chacun sa salle : Horn, Koons ou Kapoor ont notamment cet honneur. Mais on peut aussi trouver d’autres salles de ce type (Francesco Clemente, Fabro…) avant de se confronter à des pièces mettant en regard plusieurs plasticiens, vidéastes… On doit reconnaître la grande richesse du fond et la qualité de la présentation, très épurée, dans la tradition des musées d’art contemporain. Terminons en signalant qu’une autre exposition temporaire, consacrée à Walid Raad et au collectif qu’il a fondé, le groupe Atlas, se déroule actuellement et ce jusqu’au début du mois de janvier, proposant des photographies retravaillées, coupées, maquillées, revisitant interface entre réel et imaginaire sur des thèmes très variés mais largement emprunts de l’histoire libanaise et de ses conflits. Là encore, une belle exposition qu’on aimerait voir circuler à Paris…

L’exposition dédiée à Amelio est donc une réussite en ce qu’elle permet d’une part de bien retracer le parcours du collectionneur – galeriste et parce qu’on y perçoit les liens entre artistes italiens et grandes césures artistiques du dernier XXe siècle sans se cantonner à l’arte povera. Franchement, l’ensemble est captivant, même si on déplore que le personnage Amelio demeure assez énigmatique…

Lucio Amelio. Dalla Modern Art Agency alla genesi di Terrae Motus (1965-1982). Documenti, opere, una storia…, 22.11.14 — 09.03.15 Musée d’art contemporain de la ville de Naples (Madre, Museo d’arte contemporanea Donnaregina), Via Settembrini 79, 80139 Napoli, +39.081.193.13.016, [email protected]

Visuel 1 – Lucio Amelio – Andy Warhol, portrait, technique mixte d’acrylique, 1975 © Courtesy Collezione Privata. Napoli

Visuel 2 – Amelio – Mimmo Paladino, A Napoli dopo gennaio, 1978, CRT – GAM, Turin © Paolo Pellion

Visuel 3 – Amelio – Joseph Beuys, Terremoto in palazzo, 1981 © Collection Terrae Motus

Infos pratiques

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[Live-report] Bernard Lavilliers Théâtre du Casino Enghien: On The Road Again (05/12/2014)
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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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