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Luxembourg : Dans la cave des Lumières avec William Kentridge au MUDAM

12 February 2021 | PAR Yaël Hirsch

Du 13 février au 30 août, après le LaM l’an dernier, c’est le Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean qui présente une exposition monographique de l’immense artiste sud-africain William Kentridge. Sous le titre apparemment engageant More sweetly play the Dance, c’est une invitation électrochoc dans les caves de nos civilisations que nous propose l’artiste.

Placée sous le commissariat de Suzanne Cotter, assistée par Christophe Gallois et Nelly Taravel, l’exposition More sweetly play the Dance fait partie de tout un programme à Luxembourg, où non seulement les musées mais aussi les théâtres sont ouverts au public. Le Red Bridge project propose également toute une série de performances parmi lesquelles, au MUDAM même, A Guided Tour of the Exhibition: For Soprano with Handbag avec Joanna Dudley (15 & 16 juin). Il y aura aussi la mise en scène d’Il ritorno d’Ulisse de Monteverdi mis en scène par Kentridge, le talent Lab du mois de mai, et deux créations scéniques de l’artiste sud-africain : le ciné-concert Paper Music (05 et 6 juin) et l’opéra Sybil (12 au 16 juin).

Dans l’atelier musical de William Kentridge

Dès l’entrée du MUDAM, nous sommes saisis par des nouvelles œuvres de William Kentridge. Sous le dôme de verre dessiné par Pei, aux côtés de quatre grands hauts-parleurs, que nous retrouverons au cœur de l’œuvre éponyme, se dessinent en Shadows (2021) noires d’acrylique un arbre et des herbes noires sur les murs du grand hall du musée. L’installation s’appelle Almost Don’t Tremble (2019) et met en avant cinq compositeurs sud-africains : Philip Miller, Neo Muyanga, Kyle Shepherd, Waldo Alexander et Nhlanhla Mahlangu.

Nous retrouvons certains d’entre eux à l’étage où, dans un scénographie signée Sabine Theunissen, l’artiste semble nous recevoir dans son atelier comme dans un work in progress. C’est l’un des beaux paradoxes de cette exposition : l’on grimpe à l’étage mais nous entrons en fait dans une cave platonicienne où les films d’animation célèbres de Kentridge semblent nous préparer à une certaine lucidité sur nos civilisations. Ainsi, la première salle semble être un immense atelier où tout tourne autour de deux films. Tout d’abord les expressions et réclamations de liberté dansée de Sibyl (2020), qui baigne dans des sculptures et dessins préparatoires et prépare lui-même l’opéra du même nom créé par Kentridge en 2019 à Rome, en réponse au Work in progress de Calder de 1968. Sybil sera redonné à Luxembourg en juin. Et puis de l’autre côté de la pièce, également amené par des dessins préparatoires, le film City Deep (2020) est le point d’orgue de la série Drawings for Projection. Commencée en 1989, elle a rendu l’artiste célèbre. On retrouve donc les protagonistes Soho Eckstein et Felix Teitelbaum, alter ego de l’artiste qui se questionne encore et toujours sur le statut de l’art dans la nef croulante de la Johannesburg Art Gallery.

Procession dans la Cave 

Quant à la dernière salle, elle abrite face à des caissons de bois qui signifient une errance ou un déménagement, la fameuse œuvre More Sweetly Play the Dance (2015) qui en 7 écrans, 4 mégaphones et 15 minutes met en avant – avec le travail de danseurs sud-africains – une procession apparemment éclatante. Sur un fond dessiné sépia, avancent avec tambours, trompettes, discours et corps projetés, des hommes et des femmes, comme dans une marche de fête. Eux sont finement colorés. Des numéros et des traits rouges apparaissent, comme des sutures entre les écrans séparés. L’éclat dure et dure, comme des images projetées dans la cave de Platon, qui réjouissent et en même temps laissent une impression sourde de malaise. Une sorte de triomphe qui rappelle la grande parade de Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la Révolution, mais après que l’on est sûr que les promesses de cette dernière et des Lumières n’ont pas été tenues. Quand tous sont passés, reste le fond sépia, désolé et désolant comme dans un Caprice de Goya où le supplice a pris fin.

L’envers  des Lumières

C’est alors qu’on prend toute la mesure du titre de l’exposition qui est une allusion au fameux poème de Paul Celan Todesfuge, la musique et la danse étant celles qu’on a pu jouer devant les fours crématoires. Ainsi, non seulement cette nouvelle exposition Kentridge expose de nouvelles œuvres, non seulement elle invite à découvrir l’importance de la musique dans l’œuvre de Kentridge avec ces 8 mégaphones et ces commandes, mais elle pousse à son paroxysme ses paradoxes d’ombre et de lumière, de work in progress très travaillés et les allers-retours entre le travail plastique et la scène pour mieux nous présenter en miroir des doutes abyssaux sur les fondements de notre civilisation.

L’exposition vaut le voyage à Luxembourg d’ici la fin du mois d’août.

 

visuels : William Kentridge, Untitled, Leaning on Air, 2020 | Courtesy the artist / Photos de l’exposition © YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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