Expos

Le dessin contemporain s’expose au MAMC de Saint-Etienne

04 March 2021 | PAR Laetitia Larralde

Le MAMC de Saint-Etienne présente deux nouvelles expositions monographiques : Léa Belooussovitch et Eric Manigaud. Le hasard d’un calendrier bouleversé par les restrictions sanitaires a fait correspondre l’accrochage de deux artistes dont le travail s’est construit sur une base commune : la photographie d’actualité. En espérant qu’elles puissent rapidement se visiter.

Au premier abord, il est difficile d’établir un lien entre le travail de Léa Belooussovitch et d’Eric Manigaud. D’un côté des œuvres très colorées aux formes floues et de l’autre des scènes en noir et blanc très détaillées les placent dans des univers très différents. Si tous les deux utilisent des crayons, graphite ou de couleur, le lien se trouve plus dans la démarche que dans la forme. En effet, Léa Belooussovitch et Eric Manigaud s’appuient tous les deux sur la photographie d’actualité et questionnent notre rapport à l’image et à sa violence.

Pour Léa Belooussovitch, il s’agit là de sa première exposition personnelle. La jeune artiste est la lauréate du Prix des Partenaires du MAMC de 2020, ce qui lui offre une exposition, une publication et l’acquisition d’une de ses œuvres. Ce prix, porté par une dizaine d’entreprises de la région, permet de soutenir le travail de jeunes artistes des arts graphiques. Mais il donne également à Léa Belooussovitch l’occasion de faire un état des lieux de son travail en regroupant ses œuvres de même typologie, le dessin sur feutre.

Les deux artistes commencent de la même façon, en récoltant des images d’actualité concernant des évènements dramatiques. Léa Belooussovitch s’intéresse à l’actualité récente : attentats au Pakistan, fusillade au Bangladesh, guerre en Syrie, migrants en Méditerranée… Elle recherche la représentation des victimes anonymes dans les médias. Eric Manigaud, quant à lui, est sur un temps plus long et traite l’actualité alors qu’elle est passée dans l’Histoire, avec par exemple des images de la première guerre mondiale, du bombardement d’Hiroshima ou des manifestations algériennes de 1961.

Après avoir récolté leur matière première, tous les deux, chacun dans leur propre temporalité, traitent et assimilent ces images pour n’en retenir que quelques-unes qui composeront leur série. Ils prennent ensuite de la distance avec cette image référence. Léa Belooussovitch rend le motif flou pour ne garder que des masses abstraites colorées, rendant ainsi l’anonymat au sujet de la photo, qui souvent n’a pas choisi d’être photographié.

La violence des images disparaît derrière des formes adoucies par le support en feutre qui leur donne une épaisseur perdue sur internet. Certaines des œuvres laissent deviner ici un visage, là une silhouette, mais ce sont les titres, composés du lieu et de la date de l’évènement photographié, qui les ramènent dans la réalité. La plus grande œuvre par exemple, Luxembourg, du jamais vu dans ce pays calme, marquante par son format et ce jaune virevoltant comme un oiseau, séduit jusqu’à ce qu’on apprenne qu’il s’agit d’une femme s’étant immolée parce qu’elle n’avait plus d’autre choix. Cela soulève la problématique de la recherche esthétique dans les images d’actualité qui rend belles des images violentes et douloureuses. La quantité d’images à laquelle nous sommes soumis atténue déjà fortement leur portée, mais transformer l’actualité en objet esthétique nie l’humanité qui était à la base du cliché.

Eric Manigaud, quant à lui, se distancie de sa documentation en projetant l’image en très grand format et en travaillant très près de son support, une petite zone à la fois. Il faut souvent du temps pour absorber tous les détails de ses dessins et comprendre réellement ce qu’ils représentent. Dans l’Affaire de Colombes par exemple, on distingue d’abord une pièce en désordre, pour finir par distinguer un cadavre dans l’amas de linge que l’on voit dans le coin. De même, une jeune femme japonaise semble montrer les tatouages de son dos, alors que ce sont les motifs de son kimono qui se sont incrustés dans sa peau suite à l’explosion de la bombe à Hiroshima. Ici, la photo d’actualité est devenue documentaire, et elle raconte une histoire souvent censurée, bâtie sur des anonymes.

Mais la précision des dessins d’Eric Manigaud, malgré le léger flou dû à l’agrandissement de la photo initiale, font confondre dessin et photographie. On peut se demander quel est l’apport d’un dessin photoréaliste par rapport à la photographie, d’autant plus que l’artiste ne réinterprète pas sa source.

A leurs façons très différentes, Léa Belooussovitch et Eric Manigaud essayent de s’approprier des images qui banalisent la violence et de leur redonner l’humanité volée à leurs sujets. Tous les deux donnent une ampleur rare à la technique du dessin au crayon, et amènent les arts graphiques dans une sphère nouvelle.

Léa Belooussovitch, Feelings on felt
Eric Manigaud, La mélancolie des vaincus
Jusqu’au 15 août 2021
Musée d’art moderne et contemporain – Saint-Etienne Métropole

Visuels : 1- Léa Belooussovitch, Dhaka, Bangladesh, 21 février 2019 (série Relatives), 2019, dessin aux crayons de couleur sur feutre, 50 x 60 cm.  photo : Théo Baulig © Léa Belooussovitch, courtesy de l’artiste / Galerie Paris-Beijing / 2- Vue de l’exposition « Feelings on felt » (série Relatives) de Léa Belooussovitch au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au XXXXX 2021. photo : Aurélien Mole / MAMC+ / 3- Vue de l’exposition « Feelings on felt » de Léa Belooussovitch au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au XXXXX 2021. photo : Aurélien Mole / MAMC+ – Jodhpur, Inde, 22 juillet 2011 (1, 2 et 3), 2019, dessins aux crayons de couleur sur feutre, collection Fimac, Lille / 4- Éric Manigaud, Gonichi Kimura, Motifs de kimono incrustés par brûlure dans la peau, premier hôpital militaire d’Hiroshima, vers le 15 août 1945, 2019, crayons et graphite sur trame digigraphique sur papier, 75 x 60 cm. Crédit photo : Éric Manigaud / Courtesy galerie Sator © Adagp, Paris 2020 / 5- Vue de l’exposition « La mélancolie des vaincus » d’Éric Manigaud au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, jusqu’au XXXXX 2021. Crédit photo : Aurélien Mole / MAMC+ © ADAGP, Paris 2021

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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