Politique culturelle
Orpheus XXI : Découverte du beau projet de Jordi Savall pour l’intégration des musiciens migrants

Orpheus XXI : Découverte du beau projet de Jordi Savall pour l’intégration des musiciens migrants

02 March 2017 | PAR Joanna Wadel

Déjà bien sensible à la notion de racines culturelles, le musicien et violiste baroque Jordi Savall voit se concrétiser Orpheus XXI, son projet d’orchestre en faveur de l’intégration des musiciens réfugiés en Europe, qu’il porte avec humilité. Une cause humaniste et humanitaire pour l’amour et la diffusion de la musique, la circulation de la culture. Rencontre.

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“On ne peut pas jouer la plus belle musique, dans les plus belles salles du monde et ne pas s’intéresser à ce qu’il se passe en Europe, aux réfugiés”, de toute sa prestance, Jordi Savall nous rappelle que la musique classique n’est pas destinée à demeurer cloîtrée sous les dorures des salles prestigieuses. Au contraire, pour le musicien catalan, c’est un langage universel qui peut encore réunir. Venu présenter Orpheus XXI au Ministère de la culture et de la communication ce mercredi 2 mars, l’éminent directeur du Concert des Nations, formidable gambiste, a souhaité s’exprimer sur l’importance que revêt cette initiative pour lui. C’est en se rendant dans la jungle de Calais un an plus tôt, puis en Grèce, que l’ambassadeur Catalan du dialogue interculturel de l’Union Européenne a noué de premiers liens avec la population des migrants. Une détresse humaine qui ne l’a pas laissé indifférent et pour laquelle il souhaitait d’ors et déjà s’investir : “Le but n’était pas seulement de jouer pour eux, ou avec eux, c’était surtout d’aller vers eux, de leur parler.” explique-t-il. Peu de temps après naissait Orpheus XXI, un projet destiné à recruter et former en deux ans une vingtaine de musiciens issus de populations réfugiées ou exilées et à les faire jouer ensuite des musiques originaires de leurs propres cultures devant un public d’enfants migrants.

Une très belle et riche action pour le droit à l’échange interculturel, peu évoqué lorsqu’il s’agit des migrants, à laquelle s’associent avec bonheur les organisations Coop’Agir et ICORN, œuvrant au quotidien pour l’intégration des réfugiés. La mission est également soutenue, et ce depuis ses prémices, par le gouvernement et d’autres institutions telles que la Fondation CIMA et la Saline royale d’Arc-et-Senan. Elle bénéficie d’une aide financière offerte par des acteurs de renoms, comme la Commission Européenne, puisqu’elle entre dans le cadre du programme Europe Créative, et Orange Fondation.

Par Orpheus XXI, Jordi Savall entend contribuer à restaurer la dignité des artistes migrants – et il insiste sur ce point – pas seulement en les rémunérant, mais en leur faisant comprendre qu’ils ont un rôle à jouer et peuvent apporter leur bagage culturel à l’Occident : “On nous présente ces gens entassés dans des conditions inhumaines, sans pays, sans culture. Je veux montrer qu’ils ont une culture, que parmi eux, certains ont un talent à développer”. C’est donc de dignité intellectuelle qu’il s’agit, par-delà l’aspect éthique et humain. Jordi Savall perçoit la musique comme le médium universel qui permet de communiquer et d’échanger avec l’autre, davantage que n’importe quel discours. Une vocation plus que naturelle pour le musicien qui prône depuis ses débuts la diversité dans les orchestres, à commencer par les siens. Et s’il tient tant à louer la richesse de ces cultures, c’est surtout que la musique orientale traditionnelle a une portée éphémère, car elle provient essentiellement de l’oral, ce qui rend sa transmission d’autant plus précieuse qu’elle est actuellement menacée par les conflits.

Pas élitiste pour un sou, il ne considère pas le répertoire classique, qu’il maîtrise pourtant parfaitement, comme prioritaire dans cette expérience, “Je ne vais pas leur faire jouer du Bach ou du Beethoven, c’est impossible et ce n’est pas ce que je recherche” ironise-t-il avec bienveillance. L’objectif étant que l’ensemble valorise les cultures de ses membres auprès de la jeunesse expatriée. En revanche, Jordi Savall n’exclut pas de leur faire découvrir la musique médiévale, semblable par ses sonorités, ses instruments et ses influences à celle des pays orientaux. Une façon de rassembler les peuples autour de racines communes, prouvant que la musique est le liant culturel par excellence, et le témoin d’un passé instructif. La redécouverte de ces répertoires oubliés ou méconnus s’imbrique parfaitement dans la continuité du travail de restauration du patrimoine universel et de réécriture effectué en amont par le musicien sur ses opus, La route de l’Orient (2007) et l’Hommage à la Syrie avec son ensemble Hespèrion XXI en 2013, une superbe revisite de la tradition des musiques orientales de l’Islam médiéval, Séfarades, Arméniennes ou encore Turques. “Un peuple qui ne connaît pas son passé ne peut pas construire son futur”, tel est son leitmotiv.

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Jordi Savall et ses premières recrues pour Orpheus XXI

En plus de toucher au cœur du tiraillement identitaire que connaissent migrants et réfugiés politiques, Orpheus aborde la question des racines musicales et du patrimoine culturel. Présents sur place, les premières recrues de Jordi Savall, qui l’ont rejoint en novembre 2016. Les sonorités folkloriques de chanteurs et musiciens orientaux, et le chant de la Biélorusse Anastassia Louniova, résonnent entre les murs de la salle du Ministère. Pour la jeune femme, la collaboration avec Jordi Savall s’est faite par hasard, “Je ne connaissais pas Jordi Savall avant d’entrer dans ce projet. Ce qui m’a poussée à tenter l’aventure, c’est que je faisais déjà partie d’une association similaire qui promeut le mélange culturel, ça m’a vraiment parlé et je me suis dit que participer à un projet d’une plus grande ampleur était une chance à saisir”, nous confie ensuite la chanteuse, membre d’ Artespoir Projets. Un panel de profils et d’expériences variées qui feront le sel des premiers concerts donnés dès le 14 juillet prochain et jusqu’en août 2018 dans toute l’Europe. Nous avons demandé à Jordi Savall (qui donnait hier soir son dernier concert prisé sur la Venise Millénaire et prochainement Alcione) s’il comptait venir présenter son projet dans d’autres festivals et villes françaises, ce à quoi il a répondu, souriant “Non, maintenant, on travaille !”. C’est dit.

Retrouvez le formulaire d’appel à candidatures comprenant le descriptif du projet Orpheus XXI.

Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page Facebook de l’événement.

Visuels : © Joanna Wadel – © Toute la Culture

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