Politique culturelle
[Interview] Blandine Kriegel : « À l’instar du Sénateur Palpatine, le FN usurpe le discours de la République »

[Interview] Blandine Kriegel : « À l’instar du Sénateur Palpatine, le FN usurpe le discours de la République »

09 December 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Blandine Kriegel est connue pour être “une philosophe, professeur des universités, ancienne présidente du Haut Conseil à l’intégration, conseillère de Jacques Chirac et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique”. Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle se passionne pour Star Wars. Elle interviendra le lundi 14 décembre dans le cadre de “Star Wars le colloque” à la mairie du IVe à 19H.

  Donc, vous vous passionnez pour Star Wars ! Mais qu’est-ce qui vous fascine tant dans cette série ?

Je pourrais vous répondre ; la représentation inattendue d’un « classique de la philosophie politique » depuis Aristote : la République contre l’Empire, sous la forme de la fiction, mais ce serait inexact. Les deux trilogies de Star Wars ont plus de valeur. Elles orchestrent au cinéma, l’art majeur du XXème et du XXIème siècle, toutes les perceptions, toutes les passions, toutes les pensées, les mythes et les espérances de notre fragile monde démocratique. Star Wars est « le divin film » du XXèmesiècle. Star Wars me fascine aussi comme art total : non pas le mélange, mais l’association de la science fiction, de la bande dessinée, du conte pour enfant, de l’épopée chevaleresque, du roman d’éducation, de l’initiation ésotérique, etc…, porté par le grand savoir-faire et le regard d’enfant puritain et généreux, pur et impitoyable de George Lucas. Il maintient en les actualisant les valeurs de la génération née pendant ou après la Seconde Guerre mondiale et marquée par le combat qui a opposé ses pères au nazisme. Qu’est-ce qui me fascine encore ? La réaffirmation sans barguigner de l’opposition entre le bien et le mal, et leur définition : le bien, c’est la paix, le travail, le service collectif, le mal, c’est la guerre, le relâchement, la haine dominatrice,  l’apologie de la nécessité du combat contre le mal. Mais aussi la conciliation judéo-chrétienne du père et du fils. On doit affronter, mais on ne doit pas tuer le père. L’apologie de la transmission par l’éducation et l’initiation entre ainé et cadet au rebours des sottises pédagogistes. Le retournement de l’idée fataliste du destin en libre choix responsable (« Tu seras ce que tu auras choisi, si tu veux être un chevalier – un homme pour les hommes –  mon fils) Bref, une analyse profonde et subtile du dérapage toujours possible vers le coté obscur, à partir de l’amour passion sans loi. Enfin, une réflexion profonde sur la nature et les problèmes de la démocratie…

Plus précisément, que nous dit Star Wars de la démocratie grecque ?

Star Wars, qui réassimile et interprète toute notre histoire occidentale, l’Antiquité, la chevalerie médiévale, l’Etat représentatif, ne nous dit rien ou presque rien de la démocratique grecque, mais nous invite plutôt – car George Lucas connait bien la philosophie politique des Anciens – à rectifier notre langue : « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » (Mallarmé). Ce que nous appelons « démocratie », c’est-à-dire nos régimes politiques d’Etat de droit occidentaux, il l’appelle lui, « République ». Et il a raison, car la république, un certain type de lien civil ou social qui a en vue l’intérêt général et où l’autorité s’exerce par la loi sur les hommes libres et égaux – je cite Aristote – la République, dont l’opposé est l’Empire, c’est-à-dire le régime despotique qui à en vue l’intérêt privé et où l’autorité s’exerce par la force sur des individus assujettis (toujours Aristote), ne désigne pas le gouvernement, c’est-à-dire là où la personne ou institution, à laquelle on confie cette autorité. La république n’a pas seulement ou nécessairement un gouvernement démocratique. Le génie de Lucas est de sortir de la vision post-révolutionnaire des républiques, pour rappeler, et il a raison, que la République  a une longue histoire. Elle peut connaitre des gouvernements monarchiques : la Reine Amidala, aristocratiques, la Princesse Leia, assistée des chevaliers Jedi, autant qu’un gouvernement démocratique, Yan Solo et les siens. Il réhabilite ainsi la grande idée chevaleresque du service de la collectivité, de l’héroïsme. On doit choisir et prendre se responsabilités. Il critique même, comme Agatha Christie l’avait fait, une conception passionnelle de l’amour qui se retourne en son contraire, la haine, pour lui préférer l’amour du prochain établi sur l’amitié et la fraternité…

Le côté obscur est aux portes du pouvoir en France, vous avez longuement travaillé sur la “République”. Comment percevez-vous ce mot entre ces deux tours électoraux ?

Tant qu’il n’y aura pas de république universelle, la république demeurera incertaine, comme Kant l’avait compris, dès le XVIIIème siècle. A l’instar du Sénateur Palpatine, le futur Empereur de Star Wars, le Front National usurpe le discours de la république pour la faire disparaitre et mettre à sa place un régime despotique. Intellectuellement, la menace despotique vient de loin, elle vient de l’absurde prépondérance donnée aux questions économiques et sociales au détriment de la connaissance et de la compréhension collective de ce qu’est la politique et ce qu’est véritablement la république. Les grands artistes sont visionnaires, et George Lucas a vu que la république est aujourd’hui en danger dans notre monde occidental. Il nous invite de tout son art jubilatoire, aussi infantile que magistral, à la défendre comme naguère l’ont fait les pilotes de la R.A.F. (le modèle de Luke Skywalker) et en France, la Résistance.

Visuel : (c) DR

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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