
Le mauvais son de Wajdi Mouawad
Depuis hier, ce qu’il est désormais temps d’appeler une affaire, déborde de la communauté théâtrale. Wajdi Mouawad est accusé de continuer à aider et à diffuser la musique de son ami Bertrand Cantat. Il signe la bande-son du spectacle Mère.
“Programmer Cantat, qui a tué Marie Trintignant en lui fracassant le crâne, c’est minimiser la gravité de son geste, et minimiser toutes les violences masculines machistes”, réagit de son côté l’association Osez le féminisme !.https://t.co/okDS34dfL1— Marie Claire (@marieclaire_fr) October 20, 2021
Rappel des faits. En 2003, Bertrand Cantat assassine sa compagne, Marie Trintignant. Après 4 ans de détention, il est relâché et a donc, selon la justice lituanienne, purgé sa peine. Il est libre depuis 2007. Marie Trintignant est elle toujours morte, mais ça, c’est un autre problème.
C’est justement le problème. Le directeur de la Colline, qui est un Théâtre National, et dont l’existence tient dans la main du ministère de la Culture ne voit pas de souci à programmer Cantat. Il le fait depuis toujours. On se souvient du tollé en 2011 quand au Festival d’Avignon l’ancien chanteur de Noir Désir devait chanter en live sur la scène de “Des Femmes”. La présence de Jean-Louis Trintignant, également programmé lors de cette édition avait alors suscité l’effroi. La voix de Cantat resterait, mais pas son corps. A ce moment-là, il y a 10 ans, cela avait suffit à nous calmer et à permettre à la tragédie de se donner.
Nous sommes en 2021, le mouvement Metoo s’empare avec 4 ans de retard du milieu du théâtre, et voilà que ce qui passait (juste la voix), ne passe plus. Dans une tribune publiée sur le site du théâtre de la Colline, le metteur en scène affirme, à raison :
“Voilà pourquoi ma position en tant que directeur de La Colline est la suivante : toute personne libre au regard de la loi, a le droit d’aller et venir, d’être invitée comme spectateur ou comme artiste. Je ne croyais pas, qu’au pays des Droits de l’Homme, je doive défendre la présence d’un citoyen libre dans l’enceinte d’un théâtre public.”.
Oui à raison, légalement, à raison. Cantat est libre.
Mais comment celui qui a fait entendre le cri d’Antigone sur la scène de Boulbon peut traiter l’éthique et la tragédie avec mépris ? Le théâtre ne serait que fiction ? On aimerait, que toutes les victimes de féminicides soient fiction, qu’elles soient en vie.
Cette affaire pose une question cruciale : quelle est la différence entre la peine et le crime ? D’un point de vue judiciaire Bertrand Cantat n’a plus rien à donner, mais le crime que devient-il ? Mouawad écrit aussi :
“J’entends la brutalité de la situation actuelle. Une personne qui a commis un crime ou un délit envers une femme devient pour toujours, qu’elle soit entendue, mise en examen, jugée, disculpée, condamnée, incarcérée, libérée, un symbole de la violence faite aux femmes. Pour toujours. Cela nous place dans une situation cornélienne. Soit on lui interdit pour de bon la liberté de créer pour protéger le symbole, mais alors nous affaiblissons la justice, soit nous faisons le choix de nous adosser aux institutions judiciaires mais alors on écorne le symbole. Que l’on fasse ce choix plutôt que l’autre, celui-ci plutôt que celui-là, relève de la conviction personnelle.”
Effectivement, cela relève de la conviction personnelle. Il est clair que nous n’irons pas voir Mère à la Colline, et en réalité, c’est la seule chose que nous pouvons faire. Rien n’est condamnable dans l’acte de Wajdi Mouawad, c’est juste une faute morale, juste un énième coup donné au cadavre de Marie Trintignant, mais tout cela relève de l’émotion. Qu’un directeur de théâtre méprise l’émotion cela pose question, mais donc… c’est un autre problème.