
La Culture lyonnaise bloquée par un mouvement social?
Mercredi 14 décembre devait avoir lieu la Première du spectacle de fin d’année de l’Opéra de Lyon, à savoir Une Nuit à Venise de Johann Strauss dans la mise en scène de Peter Langdal. Les spectateurs se réjouissant de pouvoir se rendre à un spectacle léger et joyeux pour les Fêtes se sont toutefois retrouvés confrontés à l’annulation de la représentation suite à un mouvement social qui ne touche pas seulement la maison lyrique…
Dans un courrier adressé au sénateur-maire Gérard Collomb, les représentants de la CGT Marc Fintzi et Richard Delauzun reprochent que “des alertes accompagnées d’actions grévistes” ayant eu lieu en novembre “n’ont pas été suffisamment entendues” et expliquent que l’administration de la Ville a été interpellée sur plusieurs points depuis juin 2015. De toute évidence, il semblerait que ces interpellations n’ont pas eu la suite escomptée…
Dans cette lettre datée du 7 décembre, veille du lancement de la Fête des Lumières qui s’est close samedi dernier, la CGT annonce donc un “préavis de grève du 14/12/2016 au 23/12/2016 pour l’ensemble des personnels des théâtres Ville de Lyon : Opéra National de Lyon, Théâtre des Célestins, Théâtre du Point du jour, Maison de la Danse, Théâtre de la croix rousse, Auditorium de Lyon, Théâtre nouvelle génération“. “Joyeux Noël” pourrait-on rajouter…
Si les grèves ont malheureusement déjà beaucoup fait parler d’elles à l’Opéra de Paris, notamment la saison passée (voir notre article), l’Opéra de Lyon n’a pour sa part connu ce désagrément qu’à de rares occasions. Nous avons en mémoire la représentation de l’Enlèvement au Sérail du 28 juin dernier qui avait été reportée au lendemain, mais l’annulation de la Première ramène davantage le douloureux souvenir de la saison 2011/2012 durant laquelle la production du Rossignol avait lourdement pâtis d’une forte grève, annulant plusieurs représentations ou bien une partie de celles-ci. A cette époque, les techniciens avaient été contraints d’enchaîner de lourdes productions dans un temps anormalement court : l’imposant Parsifal de Wagner en coproduction avec le MET et la Canadian Opera Company de Toronto demandaient tant de contraintes techniques que la Première avait due être annulée, faute d’être prêts à temps. L’AFP Frédéric Vray, représentant CGT du personnel à l’Opéra et meneur de la grève, assurait à ce propos : “il fallait six jours pour monter le décor, on nous en a donné deux”. Après Le Triptyque de Puccini (composé d’Il Tabarro, Suor Angelica et Gianni Schicchi), autre énorme travail technique, cela faisait donc de trop. Serge Dorny lui-même avait reconnu “des plannings de travail parfois chargés et denses”. On pouvait difficilement ne pas comprendre les techniciens grévistes, même si la déception d’être privé d’un si beau spectacle que le Rossignol (dont la mise en scène demandait à nouveau une technique relativement lourde à cause de l’eau utilisée) restait présente.
Or, cette année, la principale revendication de la CGT tourne autour du maintien des postes et demande en premier lieu “l’arrêt immédiat des suppressions de postes dans tous les théâtres [concernés par le mouvement], en particulier à l’Opéra et au Théâtre des Célestins”. Elle explique que “la précarisation de l’activité, par le biais de l’intermittence ne remplace pas les postes de fonctionnaires permanents et ne peut mener qu’à une dégradation de l’outil de travail et des conditions de travail”. L’Opéra n’est donc pas épargnée : “le manque de personnel amène la direction de l’Opéra à faire appel à la sous-traitance. Mais cette dernière est délocalisée. Le dernier exemple est une délocalisation de la sous-traitance en Roumanie et en Espagne pour accompagner l’atelier couture. La moitié des costumes a donc été fabriquée dans ces deux pays”. Un fait qui est effectivement choquant lorsque l’on sait qu’il s’agit d’un opéra subventionné et que l’on a en tête que le salaire du directeur de l’Opéra, Serge Dorny, si élevé qu’il en est “exorbitant”, voire “indécent” puisqu’il s’élèverait en 2013 (et donc probablement aujourd’hui encore) à 300 000 euros par an “selon diverses sources concordantes” (Diapason) (ajoutons que “le salaire le plus élevé d’un directeur d’Opéra en Allemagne était, selon la presse allemande, inférieur de 100 000 euros à celui qu’il touchait à Lyon”, France Musique. La CGT demande donc ” à ce que les subventions dont bénéficie l’Opéra servent bien à maintenir son niveau d’emploi prioritairement et d’en revenir à un développement de l’emploi local voir régional“.
Le TNG (Théâtre Nouvelle Génération) est quant à lui pointé du doigt pour “la nouvelle organisation du travail mise en place par leur direction” dans laquelle “la charge de travail a été mal estimée” et où il existe un “décalage entre les ambitions de la programmation et les moyens accordés pour la réaliser”. Comment ne pas comprendre qu’en cas de non-attribution d’un poste faisant apparemment défaut, la CGT réclame que “les agents soient uniquement assignés au site du TNG, la programmation étant largement assez intense [voir ici]”?
Le problème du statut juridique du Théâtre des Célestins est lui aussi souligné : “depuis 15 ans, les agents vivent dans le stress et l’instabilité d’une situation que l’employeur s’évertue à faire perdurer jusqu’à ce jour”. La CGT dénonce un jeu malsain de la direction qui, “avant d’annoncer et d’évaluer les différents risques posés par d’éventuelles restructurations, […] passe à l’action en gelant et en supprimant les postes vacants”. Suite à un constat fait à propos des régies autonomes, elle demande, entre autre, “le maintien du statut de l’établissement en régie direct“.
Enfin, plus globalement, “les forfaits des tournées pour les techniciens des théâtres n’ont pas été réévalués depuis le précédent règlement de 1997 […] nous demandons donc une réévaluation substantielle de ces forfaits”.
Si la CGT du personnel de l’Opéra a déjà eu la main lourde en matière de revendications (nous pensons ici à leur mouvement pour que les figurants bénévoles du Messie en décembre 2012 soient rémunérés alors que ces-derniers n’avaient absolument rien demandé et étaient heureux, dès le début, de participer bénévolement à la production), difficile de ne pas trouver que les revendications actuellement énoncées soient si capricieuses, du moins dans les grandes lignes que nous avons. Comment toutefois être d’accord avec cette manie de priver le public qui n’y est pour rien de spectacles que certains ont parfois réservé des mois à l’avance, qui peuvent être des cadeaux offerts, qui peuvent, notamment dans le cadre de l’Opéra, avoir engendré des frais annexes de déplacement, etc…? Dans le temps des Fêtes de fin d’année, il est d’autant plus difficile de ne pas se trouver agacés, pris en otages dans un combat qui n’est pas forcément le nôtre… Toutefois, quel autre moyen restait-il à la CGT pour se faire écouter par la Ville si elle a effectivement déjà écrit plusieurs fois et les actions grévistes de novembre sont restées sans conséquence?
Reste à présent à espérer pour l’Opéra de Lyon que l’annulation de la Première fut assez forte pour que les autres représentations ne soient pas elles aussi supprimées, 6 représentations sur 9 étant touchées par le préavis : comment la maison lyonnaise pourrait-elle se relever financièrement d’un tel événement, qui plus est en période de Fêtes de fin d’année?