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Figure d’un féminisme désacralisé, Aline Kominsky Crumb décède à l’âge de 74 ans

Figure d’un féminisme désacralisé, Aline Kominsky Crumb décède à l’âge de 74 ans

06 December 2022 | PAR Camille Curnier

Figure féministe des Comics undergrounds dans les années 1970, Aline Kominsky-Crumb vient de décéder à l’âge de 74 ans. Souvent présentée dans l’ombre de son mari et jugée trop crue dans ses dessins, Kominsky-Crumb reste l’une des rares femmes à avoir tiré son épingle du jeu dans le monde des Comics.

L’influence d’un humour dérisoire dans une société conservatrice

C’est par l’agence littéraire Lora Fountain que l’on apprend la mort de la célèbre dessinatrice américaine Aline Kominsky-Crumb ce mardi 29 novembre 2022. Elle s’est éteinte à son domicile dans le village des Cévennes en France à l’âge de 74 ans d’une maladie fulgurante.

Née Aline Goldsmith, elle grandit dans une famille juive dans le quartier de Long Island aux Etats-Unis. Adolescente, elle se tournera rapidement vers les milieux de la musique et de la drogue où elle fera la rencontre de musicien·ne·s de la contre-culture américaine comme le groupe new-yorkais The Fuds. Aline Kominsky-Crumb va commencer à étudier l’art à l’Université de New-York, où elle rencontrera notamment son premier époux Carl Kominsky, avant de rejoindre l’Arizona pour continuer ses études. Elle y découvre le monde de la BD underground par l’intermédiaire de dessinateurs comme Spain Rodriguez et Kim Deitch. Elle rencontre quelques années plus tard son mari Robert Crumb également dessinateur de bande dessinée. Homme auquel son nom restera malheureusement associé tout au long de sa vie sans atteindre de réelle reconnaissance pour sa propre œuvre. Ironiquement, avant même de rencontrer Aline, Carl Crumb l’avait déjà imaginée au travers de son personnage de bande dessinée Honeybunch Kaminsky. Leurs physiques étaient semblables et à quelques lettres près, il avait presque également rêvé son nom.

Aline Kominsky-Crumb est un personnage à elle seule, l’auteur de Maus, Art Spiegelman, l’a décrite comme ayant “quelque chose en commun avec Lena Dunham, Amy Poehler, Amy Schumer, Sarah Silverman, des femmes qui essaient d’être aux prises avec leur identité d’une manière qui n’est pas embellie”. Elle grandit dans la banlieue juive très conformistes des Five Towns, rapidement elle s’inspire des humoristes juifs de l’époque comme Joey Bishop ou encore Alan King qui revendique un humour très autodérisoire. Pendant ses études en Arizona, elle sera également inspirée par le roman graphique révolutionnaire de l’artiste Justin Green Binky Brown Meets the Holy Virgin Mary qui dépeint les troubles obsessionnels sexuels d’une adolescence catholique. En 1972, elle s’en inspirera même pour créer sa première planche de dessin Goldie: A Neurotic Woman.

Aline Kominsky-Crumb, “Goldie Fanatic Frustation,” page 1, 1975, ink on paper

La désacralisation des femmes aux antipodes de la culture américaine

Dans les années 1960-1970, Aline Kominsky-Crumb participera au développement d’une contre-culture américaine importante notamment dans le monde du féminisme. C’est l’une des pionnières de l’underground. Aussi appelé comix, ce genre de bande dessinée apparaît aux États-Unis dans les années 1950 et s’oppose aux grands éditeurs de BD de l’époque comme DC Comics ou encore Marvel Comics. La culture underground traite des sujets normalement interdits par les codes des Comics comme la sexualité ou encore la critique de la politique et de la religion.

À l’époque, il était déjà compliqué pour une femme de tirer son épingle du jeu quand il s’agissait d’art, mais pour le monde de la bande dessiné underground, cela pouvait s’avérer encore plus ardu. Pour autant, Aline Kominsky-Crumb réussira à se faire un nom en intégrant notamment les premiers journaux traitant des idées féministes en Amérique comme Wimmen’s Comix ou encore Twisted Sisters qu’elle cofondera avec Diane Noomin en 1976. Des Comics qui s’autorisent à traiter du lesbianisme ou encore à critiquer le patriarcat.

Aline Kominsky-Crumb s’exprimait de manière presque artisanale sur l’idée féministe, ce qui lui valut de nombreuses réprimandes de la part de ses collègues qui ne voyait pas la revendication d’un même œil. Ses dessins étaient jugés trop crus, trop confessionnels et trop peu édifiant et élogieux pour la conscience féministe de l’époque. Elle se complaisait dans le style autodérisoire et aimait se décrire comme trop bruyante, trop grosse ou encore aguicheuse. Aline Kominsky-Crumb défendait aussi régulièrement son mari critiqué pour ses représentations caricaturales et très sexuelles du corps des femmes. Bien que trop souvent dépeint comme machiste, ne voyait rien de répréhensible dans l’œuvre de Robert Crumb.

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