Marionnette
Si la voiture est fétiche, l’accident ne l’est pas

Si la voiture est fétiche, l’accident ne l’est pas

06 December 2022 | PAR Gautier Higelin

Le théâtre de la Cité internationale accueille jusqu’au 17 décembre la pièce susnommée d’Aurelia Ivan. À cheval entre théâtre et marionnette contemporaine, l’artiste roumaine met en scène une pièce-composition minimale qui fait circuler textes, corps et objets.

Démantèlement idéologique de la voiture en paroles et en actes

Dans sa symbolique, la voiture est devenue un sujet-objet qui implique une réflexion sur l’ensemble du social. La mythologie de l’automobile devient ici un terrain de jeu où l’on tente de lui extorquer tout ce que l’on peut. Flashs lumineux, vibrations, ambiance urbaine, carrosseries, vitres, phares ; toutes les matières présentes sur scène sont là pour incarner autant que les corps humains eux-mêmes.

“Les matériaux sont pour nous des corps, peu importe leur échelle et leur poids. Ils rentrent dans la règle d’équivalence entre corps humains et objets hybrides.” – Aurelia Ivan

Dans une scénographie minutieusement travaillée, tant d’un point vue matériel que sonore, le triptyque corps, matière, paroles va être mis en scène à trois reprises.

Menottés durant de longues minutes par un chant lyrique ayant pour texte l’Autoguide Rousseau (le code de la route), la salle est prise dans un sentiment à mi-chemin entre contrepied poético-philosophique et absurdité comique. La longueur finira par la laisser coi.

S’en suit alors la deuxième scène. Aurelia Ivan entame une relation a priori dansante avec un capot de 4L. Portée par le texte d’André Gorz sur L’idéologie sociale de la bagnole, son rapport à l’objet s’intensifie, jusqu’à la faire entrer dans un combat avec ce dernier. Allégorie d’une relation corporellement indépassable, le texte permet toutefois d’entrouvrir une porte de sortie théorique. Après une critique acerbe du système bourgeois dont émane la voiture, Gorz nous rappelle que « les usagers briseront les chaînes du transport surpuissant lorsqu’ils se remettront à aimer comme un territoire leur îlot de circulation, et à redouter de s’en éloigner trop souvent ».

Enfin, une troisième personne, faisant corps avec une vitre soumise à des vibrations, vient interpréter le texte Jeux de Jean Baudrillard. Une écriture qui caractérise l’automobile comme un rapport singulier aux limites, au cadre, où son usage repose essentiellement sur un jeu avec la mort. L’intensification des vibrations résonne avec les mots prononcés. On sent que la voiture dépasse les limites de vitesse et qu’elles se dirigent droit vers l’accident. Dans une installation sonore à 360°, la vibration de la matière entre en symbiose avec un bourdonnement qui s’amplifie de plus en plus. Un grand drap blanc descend et une soufflerie cachée le transforme en airbag géant. Lorsque le fétiche disparaît, l’accident est déjà là.

Un spectacle ambitieux

Si la lumière, le son et la scénographie sont soigneusement travaillés par des artistes très talentueux tels qu’Aurelia Ivan et Sallahdyn Khatir qui ont eux-mêmes collaborés avec la chorégraphe Anna Chirescu et le plasticien Johnny Lebigot, il reste toutefois difficile de dire que la pièce pénètre de son énergie le public. Embarqué sur une scène où l’accident a déjà eu lieu, la tentative d’interprétation des textes théoriques d’André Gorz et Jean Baudrillard, qui ont pour but de retracer les enjeux du mythe automobile, restent trop en surface. L’écriture ne portant pas en elle une esthétique très orale, la sensation de récitation vient accentuer la distance avec le spectateur. À l’instar de la littérature, la philosophie et les sciences sociales possèdent, elles-aussi, un contexte d’écriture et de réception qui leurs sont propres. Les déplacer de leur milieu engage une modification par le style, le jeu ou l’interprétation. Sans cela le nouveau médium perd de son utilité, prenant ainsi le risque que les textes se porteraient finalement mieux en étant lu dans leur contexte original.

L’objet et les choix artistiques de la pièce-composition ont des visées sincères mais qui restent difficilement palpables pour le public. L’assemblée assiste à la représentation sans jamais vraiment la ressentir.

Visuel: © Chloé Bazaud

 

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