Classique
Festival de Pâques Aix en Provence : Alexandre Kantorow époustouflant au Grand Théâtre

Festival de Pâques Aix en Provence : Alexandre Kantorow époustouflant au Grand Théâtre

11 April 2023 | PAR Hannah Starman

Ce 9 avril devant la salle comble du Grand Théâtre de Provence, Alexandre Kantorow déploie son immense talent avec un programme romantique à souhait : Sonate pour piano N°1 en ut majeur op. 1 de Johannes Brahms, les Transcriptions de lieder de Franz Schubert par Franz Liszt et la Fantaisie en ut majeur op. 15 “Wanderer Fantasie.” Acclamé par un public émerveillé, Kantorow lui offrira quatre généreux bis et recevra une longue ovation debout. Un coup de cœur musical !

La révélation Kantorow

Habitué du Festival international de piano La Roque d’Anthéron, Alexandre Kantorow est l’invité du Festival de Pâques Aix-en-Provence pour la première fois en 2023. Le premier et le seul pianiste français en date à avoir emporté, à seulement 22 ans, la médaille d’or du prestigieux Concours international Tchaïkovski et le Grand Prix en 2019 à Moscou, Alexandre Kantorow est accueilli par la presse internationale comme une splendide révélation. En 2020, le “jeune tsar du piano” remportera une Victoire de la musique classique dans la catégorie Soliste instrumental.

Issu d’une famille de musiciens – son père est le violoniste et chef d’orchestre d’origine russo-juive Jean-Jacques Kantorow et sa mère, Kathryn Dean, est également violoniste – Alexandre Kantorow fait ses débuts en tant que concertiste à 16 ans à la Folle Journée de Nantes et à Varsovie avec le Sinfonia Varsovia. Il se produira à 17 ans à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre Pasdeloup, au Concertgebouw d’Amsterdam, au Konzerhaus de Berlin et dans d’autres salles prestigieuses du monde entier.

Sonate N°1 en ut majeur op. 1 de Johannes Brahms

Le programme cent pourcent romantique, identique à celui proposé au public parisien à la Philharmonie le 27 mars, ouvre la soirée avec la Sonate N°1 op. 1 de Brahms. Détendu et visiblement chez lui dans ce répertoire qu’il affectionne et qu’il joue sans partition, Alexandre Kantorow attaque la Première sonate de Brahms avec énergie et finesse. Dès les premières notes de l’Allegro, le jeune virtuose au visage pâle, corps longiligne et longs doigts expressifs nous offre un jeu contrasté dans les parties vives et aérien dans les parties douces. Dans Andante, Kantorow déploie encore davantage les sonorités lumineuses et profondes qui le caractérisent. Il retrousse les manches de sa chemise noire avant de se lancer dans un Scherzo endiablé, d’une vélocité qui défie toutes les lois de la physique. Il joue le Finale avec tonus et fraîcheur avant d’enchaîner sur les Transcriptions de lieder de Franz Schubert par Franz Liszt.

Transcriptions de lieder de Schubert par Liszt

Après l’entracte, Alexandre Kantorow partagera cinq lieder de Franz Schubert transcrits par Franz Liszt avec le public déjà entièrement séduit. Liszt a transcrit environ 60 lieder de Schubert pour solo piano, ce qui a permis de faire connaître l’œuvre de Schubert à un large public dans les années 1830. Le premier des lieder, Der Wanderer (Le Randonneur), composé par Schubert en 1816 sur un poème de Georg Philipp Schmidt et retranscrit en 1838 par Liszt, illustre l’errance et la solitude du voyageur, alternant les ambiances entre la description d’un paysage pittoresque, l’espoir joyeux et la mélancolie sombre. Kantorow attend quelques instants, ses mains posées sur les genoux, avant de se lancer dans une interprétation qui va au cœur de l’émotion : sensible, rêveuse et sans les traits de bravoure ou excès de pathos. Le deuxième lied, Der Müller und der Bach (Le meunier et le ruisseau) fait partie du cycle poèmes intitulé Die schöne Müllerin (La belle meunière) de Wilhelm Müller que Schubert découvre en 1823. Touché par cette histoire d’amour entre un jeune meunier et la fille du meunier, Schubert mettra en musique 20 des 25 poèmes de Müller. Volage, la jeune meunière cède d’abord aux avances du meunier avant de s’éprendre d’un chasseur. Rongé par la jalousie et le désespoir, le meunier se noie dans le ruisseau. Le lied Le Meunier et le ruisseau transcrit le dialogue entre le jeune meunier et le ruisseau amical qui lui offre son dernier repos et son apaisement final. Kantorow plonge dans ce chagrin d’amour avec sobriété et finesse, sans pour autant nous priver de moments insouciants et pleins d’esprit espiègle. Frühlingsglaube (Confiance dans le Printemps), d’après le poème de Johann Ludwig Uhland de 1812, est une des plus belles compositions de Schubert. Kantorow traduit, avec une incomparable attention à la nuance et aux textures sonores, cette ambiance d’un ravissant printemps, conscient que son éclat porte en lui l’hiver et la mort, tout comme Schubert, déjà malade au moment de la composition en 1822. Les deux derniers lieder, du cycle Schwanengesang (Le Chant du cygne), Die Stadt (La Ville) et Am Meer (Au bord de la Mer) ont été composés d’après les poèmes de Heinrich Heine peu après la mort de Schubert le 19 novembre 1828. Traduisant toute la force expressive et poétique de Heine, Schubert et Liszt, Kantorow va au cœur de l’émotion sombre et intense, merveilleusement rendue, notamment dans les parties graves.

Fantasie en ut majeur op. 15 de Franz Schubert

Revenant au motif du randonneur/voyageur du premier lied retranscrit par Liszt, Alexandre Kantorow referme la soirée par La Fantasie en ut majeur op. 15 de Schubert. Wanderer Fantasie (La Fantasieu du Randonneur) est la seule des Fantasies de Schubert publiée de son vivant et une des rares œuvres du compositeur réalisée sur commande. C’est un virtuose viennois, Emmanuel von Liebenberg de Zsittin qui demande à Schubert de composer cette œuvre et elle est aujourd’hui considérée comme une des compositions pour piano les plus difficiles techniquement. Incapable de jouer le finale de la Wanderer Fantasie lui-même, Schubert aurait dit que “le diable devrait jouer ça.” Loin de toute prétention diabolique Kantorow s’attaque pourtant au chef d’œuvre du compositeur autrichien avec une certaine fougue. Son toucher fluide et précis et l’incroyable vélocité de son doigté créent un son riche qui donne parfois l’impression d’entendre la gamme d’un orchestre entier, notamment dans l’Allegro, le quatrième et le plus virtuose mouvement de la fantaisie.

Quatre bis et une standing ovation

Une salle acquise par cet immense talent, transportée par la beauté de la musique qu’elle vient d’entendre et admirative de ce jeune homme au sourire timide, éclatera en applaudissements et bravos. Kantorow remerciera son public chaleureux par quatre bis :  Litanei auf das Fest Aller Seelen de Franz Schubert transcrite pour piano par Franz Liszt, une pure merveille intimiste, suivie d’une Valse Triste de Franz von Vecsey, épurée des traits virtuoses ajoutés par György Cziffra pour mieux faire ressortir sa somptueuse noirceur. Kantorow juxtaposera ensuite la rêveuse et parcimonieuse Cancion y Danza N 6 du compositeur et pianiste espagnol Federico Mompou avec une Marche Turque, le célébrissime troisième mouvement de la Sonate pour piano N 11 de W.A. Mozart dans la version d’Arcadi Volodos, “revisitée avec encore plus de notes que n’en ajoute Yuja Wang.” Cet excès de pétulance suscitera quelques rires affectueux du public avant la dernière salve d’applaudissement qui finira par une longue standing ovation. Les plus avisés des spectateurs quitteront la salle avant pour se mettre en tête de l’interminable queue qui se formera devant la table où le pianiste passera le reste de la soirée à dédicacer ses disques aux spectateurs aux yeux brillant d’adoration.

Visuel : © Caroline Doutre

 

 

Pierre Lacotte n’est plus
France Anodine à la Maison des Métallos : L’Emission, une fausse session radio pleine de vrai sens
Hannah Starman

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration